Le carbone comme monnaie d'épargne
changer nos comportements pour s'adapter au changement climatique

Vendredi 15 décembre 2006 Le Temps Genève

Notes de lecture

Le dioxyde de carbone (C02) n'est pas seulement le gaz à effet de serre le plus célèbre. Il est en passe de devenir une monnaie d'échange d'envergure mondiale et même une unité de compte qui sera peut-être créditée sur sa propre carte de crédit.

C'est déjà le cas sur le plan industriel. Ainsi, l'Union européenne bat le rappel des Etats qui se sont vu fixer des quotas de CO2 inférieurs en moyenne de 7% pour la période 2008-2012. Cette opération d'allocations des quotas de C02 bénéficie de peu de publicité car elle se déroule dans un cadre industriel très restreint. Ne sont pris en compte que les gaz à effet de serre des grandes industries - centrales électriques à combustibles fossiles, cimenteries sidérurgies et métallurgie. Ne sont pas concernés: l'agriculture, les services, les transports - routiers, ferroviaires maritimes et aéronautiques - le chauffage et l'énergie des bâtiments. Ce sont des secteurs qui représentent tout de même plus de 80% des émissions. Mais il faut bien commencer par quelque chose, et les gros pollueurs viisibles, c'est plus facile. Pour Bruxelles, l'essentiel était de mettre en place un système d'échanges (ceux qui dépassent les quotas peuvent acheter des droits de polluer) qui amorce la pompe et permette d'atteindre les objectifs du Protocole de Kyoto. En Suisse, la taxe CO2 est enfin sous toit, après le ralliement du Conseil des Etats (lire en page 8) au projet du Conseil national. Elle s'appliquera aux combustibles (mazout, gaz) mais pas aux carburants (essence) déjà frappés par le centime climatique. Et les grands pays en développement - Chine et Inde - et d'autres sont dispensés de Kyoto. Et les EU s'en dispensent aussi.

Ttout le monde est qu'il faudra aller au-delà si l'on vise une réduction significative des gaz à effet de serre. L'idée d'une taxe carbone nationale à laquelle participeraient tous les ménages fait son chemin. Elle a même fait l'objet d'une abondante littérature dans la recherche économique. A la différence d'une taxe, il s'agirait d'allouer des droits de polluer qui, non utilisés, pourraient être valorisés sur un compte épargne. La vertu environnementale serait ainsi encouragée.

L'idée fut développée par plusieurs économistes, dont Martin Feldstein, professeur d'économie à Harvard et président du National Bureau of Economic Research. Dans un rapport remis au président des Etats-Unis, le professeur Martin Feldstein écrit qu'il est illusoire d'attendre une réduction significative des émissions de CO2 par le seul jeu des progrès techniques et des normes. Il faut, explique-t-il, agir sur le prix des énergies fossiles mais sans créer un nouvel impôt qui serait simplement répercuté sur le prix de l'essence. Pour y parvenir, il propose de distribuer à tous les ménages des droits de polluer qu'ils débiteront en se chauffant et en consommant de l'essence. Ceux qui n'utiliseront pas tous leurs droits pourront les revendre sur un marché et encaisser de l'argent sonnant et trébuchant pour leur bonne conduite. Quant aux taxes encaissées, elles devront être reversées aux ménages afin d'assurer une neutralité fiscale de la taxe. Par ce jeu, les ménages, tout comme les industriels d'ailleurs, qui font preuve de retenue dans leur consommation d'énergie fossile seraient récompensés. Ce mécanisme devrait logiquement déclencher un comportement vertueux: chacun ayant un intérêt à réduire ses émissions ou à chercher des substituts aux énergies fossiles. Voir ces propositions de Martin Feldstein. Dans cette logique, l'uranium devrait être taxé aussi, pour que le prix de l'électricité intégre les coûts de traitement des déchets et celui du démantèlement des centrales, en fin de vie technologique.

Comme toujours, si le principe est simple, sa mise en œuvre s'avère très complexe. Les droits de polluer individuels distribués devront tenir compte de la réalité physique de la consommation réelle, sans quoi leur valeur explosera de manière artificielle ou à l'inverse chuteront à zéro si le quota annuel attribué à chaque ménage est supérieur à la consommation réelle. Ces questions a priori très techniques mais lourdes de conséquences sont examinées dans une étude récente, réalisée par l'agence environnementale britannique Defra. Ses auteurs Simon Roberts et Joshua Thumin estiment que confier aux banques la gestion de l'épargne CO2 serait sans doute la voie la plus commode et la plus sûre. Selon le secrétaire d'Etat britannique à l'Environnement, David Miliband, une taxe carbone individualisée serait une manière très élégante d'induire un changement dans les habitudes de consommation: les plus vertueux pouvant ainsi se constituer une épargne dont la valeur augmentera au fur et à mesure que le quota national des droits de polluer sera abaissé. Reste, et il en est bien conscient, à résoudre de sérieux problèmes. Tout crédit de carbone sera perçu comme un impôt et sera combattu comme tel par ses adversaires. Les ménages ne sont pas forcément égaux dans leur consommation d'énergie et toute nouvelle taxe, même incitative, peut aggraver les inégalités sociales. Et surtout, les affrontements politiques seront féroces lorsqu'il s'agira d'allouer les quotas et de déterminer les cibles qui feront l'objet d'un prélèvement. Certains secteurs comme le trafic aérien ont déjà commencé à combattre toute idée de taxe C02, sachant qu'un seul voyage en avion risquerait de ruiner le détenteur d'un compte épargne. Car si chaque Européen émet environ 8.28 tonnes de carbone en moyenne par an, un voyageur d'un aller-retour Paris-New York en libère 2.500 tonnes!

Il est donc impératif de changer nos modes de consommation. Ce qui nous libérerait du dilemme de la croissance exponentielle impossible. Mais on ne peut pas faire cela d'un coup. Comme je l'explique par ailleurs, les produits et services que nous consommons doivent intégrer tous les coûts y compris les coûts cachés et sociaux, par exemple le coût que représente l'effet de serre et le réchauffement climatique pour l'ensemble de l'humanité. Mais, si les transports, notamment routiers et aériens, devaient payer le carbone émis dans l'atmosphère, c'est à dire le prix de l'oxygène utilisé dans la combustion, alors les secteurs économiques correspondants seraient profondément affectés, voire s'effondreraient, car le temps serait trop court pour s'adapter. C'est là qu'interviennent le progrès technique, la recherche et le développement. Voir sur ce point les chroniques de Claude Allègre.

Voir dossier complet sur le changement climatique

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Mis en ligne le 15/12/2006 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr)