liens/links

  1. Dossier complet sur le changement climatique
  2. Emmanuel Leroy Ladurie: histoire du climat depuis l'an 1000
  3. 1816, l'année sans été
  4. Ruprecht Zollikofer
  5. Eruption du volcan Tambora en Indonésie en 1815
  6. le volcan Tambora (wikipedia)
  7. Volcan Pinatubo Philippines
  8. Le réchauffement climatique actuel est une certitude.
  9. le volcan insulaire de Santorin
  10. le volcan Krakatoa: eruption cataclysmique en 1883
  11. Le climat est-il devenu fou? Entretien Jean Jouzel et Emmanuel Leroy Ladurie
  12. Site du GIEC
  13. GIEC rapport de synthèse 2007
  14. Les sceptiques du changement climatique
  15. Une tempête d'une ampleur exceptionnelle menace la France 9/2/2009

Al Gore: Urgence planète terre
Climat et civilisation : Un peu d'histoire

Notes de lecture , italiques bleues et ajouts de liens

Les sceptiques du changement climatique, comme Claude Allègre, Richard Lindzen ou Laurent Cabrol pour ne citer que ceux-là, nous disent que le climat a toujours changé. Ils citent les historiens climat comme Charles H. Lamb en Angleterre ou Emmanuel Leroy Ladurie en France. Al Gore y va aussi d'une synthèse de ces travaux dans son livre "Urgence planète terre". Loin de nous rassurer, cette histoire du climat me semble confirmer le danger qui nous guette.

Dans ce livre "Urgence planète terre", Al Gore n'avance que des idées qui émanent de la communauté scientifique, notamment à travers l'instrument qu'est le GIEC Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce livre est un excellent condensé de tout ce que la communauté scientifique du monde (plus de 95% des scientifiques) dit sur la menace que le changement climatique fait peser sur l'humanité. Une humanité composée aujourd'hui de 6.7 milliards d'hommes et qui continue de croître affectant de plus en plus l'environnement dont elle dépend.

L'humanité s'est développée à ce stade, en nombre, à cause de la relative stabilité du climat depuis 10 000 ans, cad. depuis l'invention de l'agriculture. Mais le climat a varié sensiblement autour d'une tendance d'équilibre au cours de ces 10 000 ans et l'on en a des témoignages historiques au cours du dernier millénaire. Des historiens ont pu reconstituer une histoire du climat et des ses variations au cours du dernier millénaire. En France l'historien Emmanuel Leroy Ladurie s'est livré à ce travail. Ce travail montre que l'humanité est fragile et que les variations du climat seraient une cause parmi d'autres de la prospérité des sociétés par la production agricole, mais aussi de troubles comme les mauvaises récoltes, les famines, les révoltes de la faim et les guerres entre les communautés.

Toute l'ingéniosité des hommes et l'accumulation des savoirs et des techniques, a consisté à s'adapter à ces variations de climat et de ses effets sur l'environnement. L'invention de l'agriculture a été l'une des plus significatives il y a 10000 ans au Moyen Orient, avec la domestication des céréales et des animaux et la diffusion de ces techniques à travers les communautés en contact physique les unes avec les autres. Il y eut ensuite l'invention de l'écriture il y a 4 000 ans, et l'imprimerie il y a seulement 500 ans; puis la révolution industrielle il y a 300 ans et la formidable expansion technique des 60 dernières années au cours desquelles l'humanité est passée de 2 à près de 7 milliards d'individus. Cette formidable expansion a été permise par l'exploitation des combustibles fossiles, charbon, pétrole et gaz.

C'est sans doute la stabilité du climat et des conditions d'environnement - la disponibilité d'eau douce dans les différents endroits de la planète où les hommes se sont implantés, celle des sols agricoles cultivables et les rendements agricoles atteints (100 quintaux par hectare en France aujourd'hui), qui a permis cette formidable évolution de l'humanité et son explosion récente.

Mais ce qui découle des observations de la communauté scientifique mondiale, c'est que ces conditions climatiques favorables depuis 10 000 ans, sont en train de changer et que l'homme, avec ses effectifs et son impact bien plus grand sur l'environnement que lorsque nous étions moins d'un milliard d'individus, participerait aux causes de ce changement. C'est particulièrement le cas des émissions de gaz à effet de serre dûs à la combustion de combustibles fossiles - CO2, NOx et méthane - dans l'atmosphère, cette mince couche de 10km en moyenne qui entoure la planète dont le rayon est de 6400km; et l'accroissement des teneurs en CO2 équivalent - une notion qui combine tous les gaz à effet de serre - est plus rapide et plus important que jamais observé par le passé aussi bien historique que géologique du dernier million d'années. C'est l'accroissement des gaz à effet de serre qui provoque une hausse de la température moyenne de la surface de la planète. Si cela est vrai, comme la grande majorité des scientifiques qui étudient ce domaine de nos connaissances le disent, le changement va affecter tous les éléments qui influent sur le climat; or le climat résulte principalement de l'échange d'énergie du soleil entre l'équateur et les pôles, cad. la circulation générale atmosphérique et océanique.

C'est donc la stabilité globale du climat depuis 10 000 ans qui est susceptible d'être modifiée, avec une tendance à la hausse de la température moyenne ce qui risque de modifier la répartition des zones habitables, de l'évaporation et des précipitations, donc de la disponibilité d'eau douce, de terres agricoles cultivables, des rendements obtenus, bref l'environnement favorable qui a permis d'atteindre les 7 millions d'humains.

L'homme a toujours été confronté depuis à la menace de ne pas survivre en tant qu'individu et en tant qu'espèce. L'évolution nous a doté de notre cerveau d'homme moderne (Homo.sapiens.sapiens) afin d'assurer plus efficacement notre survie et aussi d'une forte propension sexuelle. L'accumulation culturelle qui s'est accélérée au cours de trois derniers siècles, nous a permis d'assurer notre survie et notre longévité de vie de manière sans précédent dans l'histoire de notre espèce, en grande partie de manière artificielle, par la technique. C'est précisément ce qui est menacé. L'homme peut-il, par son ingéniosité et par le progrès technique, échapper aux conséquences du changement climatique? Deux solutions:

La première, et personne n'en parle jamais, c'est la baisse de ses effectifs... Revenir à moins de 2 milliards, voire moins de 1 milliard, volontairement pour ne pas y être contraints par le changement climatique. C'est une solution qui requiert le contrôle des naissances généralisé à la planète comme nous l'avons connu dans les pays développés et en France deopuis les années 1960. C'est tout ce qu'on peut proposer sans verser dans l'horrible eugénisme de la fin du XIXè siècle.

La deuxième solution c'est la diminution de l'impact des combustibles fossiles; on a tendance en France à se focaliser sur le pétrole donc les transports et le chauffage des bâtiments, car notre énergie électrique est produite par le nucléaire avec effet moindre en production de CO2 - à l'exploitation minière et à la production des équipements près. Mais les principaux pays industriels - dont États-Unis - et surtout les pays émergents - Chine et Inde - produisent leur électricité principalment à partir de charbon. La diminution de l'impact des combustibles fossiles passe donc par une modération de la consommation de produits et services, ayant tous un contenu pétrole important, dans nos pays "riches", par le recours accru aux énergies renouvelables, par le recours au nucléaire là où les énergies renouvelables ne suffisent pas, par le captage et la sequestration du CO2, et enfin par l'espoir de l'hydrogène comme source d'énergie future. Le captage et la sequestration du CO2 concernent principalement les centrales électriques, la sidérurgie et les cimenteries. Tels sont les voies de l'évolution technologique qui sont envisagées aujourd'hui en 2009.

Toute la question est de savoir si le changement climatique qui s'annonce - dont les effets sont déjà observés dans l'arctique, dans l'antarctique et dans les glaciers terrestres - nous laissera le temps d'accomplir cette évolution par la technique et si la redistribution des conditions climatiques et environnementales sur la planète, telle qu'elle est peuplée aujourd'hui, le permettra sans provoquer des migrations de populations sans précédent avec les risques de guerres ou de génocides si fréquents dans notre histoire, et/ou des migrations de virus auxquels les populations ne sont pas protégés.


A partir de 1816, « l'année sans été », une série de mauvaises récoltes entraîna des émeutes de la faim dans presque tous les pays d'Europe et suscita une fièvre révolutionnaire qui s'abattit sur le continent durant trois années. En France, par exemple, la chambre fut dissoute et un conservateur, le duc de Richelieu, fut appelé à former un nouveau ministère. Partout, les gouvernements luttèrent pour maintenir l'ordre social contre l'épidémie sans précédent de crimes et de délits qui frappaient les villes. Cette poussée de criminalité stupéfia les Suisses. Le nombre des suicides connut une augmentation spectaculaire, tout comme celui des femmes exécutées pour infanticide.

Les historiens ont dépeint les « hordes de mendiants » qui bloquaient les routes et imploraient la pitié des voyageurs. Dans un récit caractéristique, un épistolier qui traversa la Bourgogne en 1817 notait : « Les mendiants, très nombreux hier, plus nombreux encore aujourd'hui. À chaque relais, une troupe de femmes, d'enfants et de vieillards se rassemblaient autour de la voiture. » Un autre observateur, venu des îles Britanniques, remarquait, toujours à propos de la Bourgogne, que le nombre des miséreux « quoique important, n'atteint d'aucune manière celui de ceux qui assiègent le voyageur en Irlande ». En Suisse, des témoins oculaires rapportaient que les foules de mendiants hantant les grands chemins étaient si denses qu'elles évoquaient des armées. Le désespoir se lisait dans leurs yeux et, selon le mot d'un chroniqueur local, Ruprecht Zollikofer, « leurs joues avaient la pâleur de la mort ».

La crainte de voir une révolution éclater montait dans de nombreux pays. L'armée fut appelée pour ramener à la raison les foules sans cesse plus nombreuses qui réclamaient du pain. Une vague d'incendies ravagea pratiquement tous les pays. Présage sinistre, les premières émeutes antisémites de l'histoire de l'Allemagne moderne éclatèrent en Bavière, à Würzburg, durant l'été 1819, et, après la famine et les flambées révolutionnaires qui avaient exacerbé tensions et ressentiments, elles s'étendirent à toute l'Allemagne et au-delà, jusqu'à Amsterdam et Copenhague.

L'Europe se remettait à peine des guerres napoléoniennes et subissait de grands changements. Mais, sans que personne puisse le comprendre à l'époque, la cause immédiate de ces malheurs et des troubles sociaux résidait dans une transformation du climat planétaire provoquée par une série exceptionnellement importante d'éruptions du Tambora, sur l'île de Sumbawa, en Indonésie, au printemps de 1815. Les spécialistes estiment que dix mille personnes trouvèrent la mort à la suite de la première éruption et que quelque quatre-vingt-deux mille moururent de faim et de maladie dans les mois qui suivirent. Cependant, les pires conséquences pour le reste du monde ne se firent sentir qu'un an plus tard, au moment où les cendres rejetées par le volcan se furent répandues dans l'ensemble de l'atmosphère et commencèrent à réduire dans une proportion spectaculaire la proportion de lumière solaire atteignant la surface de la terre. Eruption du volcan Tambora en Indonésie en 1815

En Nouvelle-Angleterre, il neigea abondamment en juin 1816, et il y eut des gelées tout l'été. De l'Irlande aux rives de la Baltique, en passant par l'Angleterre, la pluie tomba presque sans discontinuer de mai à octobre. L'interruption des schémas météorologiques habituels eut des répercussions sociales que les archives recensent avec minutie : récoltes désastreuses, émeutes de la faim, quasi-effondrement de la société.

Les modifications climatiques qui provoquèrent cette crise semblent avoir duré moins de trois ans, peut-être parce que l'essentiel des rejets volcaniques dans l'atmosphère finissent pas retomber au bout d'une période relativement brève. C'est pourquoi l'impact des éruptions, si considérable soit-il, ne se prolonge guère au-delà d'un ou deux ans. Par exemple, l'éruption de 1991 du mont Pinatubo, aux Philippines, a eu des effets importants, mais de courte durée. Ils se sont traduits par un refroidissement de la Terre, qui a masqué temporairement le réchauffement bien plus fort dû à la civilisation humaine, et par une accélération, temporaire elle aussi, de la réduction de la couche d'ozone.

Quoi qu'il en soit, les grandes éruptions volcaniques enregistrées tout au long de l'Histoire nous apportent sur les changements à long terme des enseignements dans trois domaines.

  1. Tout d'abord, elles démontrent à quel point notre civilisation dépend de conditions climatiques stables, analogues à celles dont nous avons bénéficié, en général, au cours des cent derniers siècles.
  2. Ensuite, elles illustrent le fait que les malheurs affectant une partie du monde peuvent procéder de changements climatiques qui trouvent leur origine dans une région complètement différente.
  3. Enfin, elles nous proposent une image de ce que pourraient être les conséquences dévastatrices d'une modification relativement soudaine du schéma climatique planétaire provoquée par l'action des hommes.

Les Anciens ignoraient presque tout de l'univers qui s'étendaient au-delà de leurs frontières. Ils n'avaient donc aucun moyen de saisir les relations de cause à effet entre des éruptions volcaniques lointaines et des modifications majeures du climat chez eux. Mais, récemment, les relevés climatiques obtenus à partir des carottes glaciaires forées au Groenland et dans l'Antarctique ont permis de déterminer les dates des grandes éruptions volcaniques survenues pendant l'Antiquité. Les savants ont croisé ces relevés avec les anneaux de croissance des arbres, avec les données de la géologie et de l'archéologie, et les ont confrontés avec l'analyse des documents concernant l'histoire du climat provenant d'anciennes civilisations. Les Chinois, en particulier, ont conservé des archives remontant à trente-six siècles. Voir ici les carottes glaciaires.

Grâce à l'étude des textes chinois, des anneaux des arbres et des calottes glaciaires, on a pu évaluer les effets cataclysmiques de l'une des plus gigantesques éruptions dont l'Histoire ait gardé la trace : en 1600 avant Jésus-Christ, le volcan insulaire de Santorin, à cent kilomètres au nord de la Crète, explosa, avec une puissance cent fois supérieure à la célèbre explosion du Krakatoa en 1883. Les séquelles climatiques contribuèrent plus que probablement à la disparition, peu après, de la civilisation minoenne qui avait dominé la Méditerranée orientale pendant un millénaire, à l'âge du bronze. Certains historiens pensent que cette fin soudaine inspira à Platon le récit de la submersion, en un seul jour, de la légendaire Atlantide.

Cinq siècles plus tard, à un moment situé entre 1150 et 1136 avant Jésus-Christ, le Kekla 3, en Islande, projeta dans l'atmosphère des millions de tonnes de cendres et autres particules. À la même époque, selon un écrit primitif chinois conservé sur des lamelles de bambou séché, « il plut de la poussière à Pô ». Les archéologues ont également retrouvé les traces d'effets dévastateurs dans le monde occidental. Les spécialistes écossais considèrent qu'en ce temps-là, 90 % de la population de l'Écosse et du nord de l'Angleterre disparut. En outre, l'examen des sols indique que des précipitations extrêmement fortes et des températures glaciales mirent fin temporairement à la pratique de l'agriculture. Eruption du Skapta Jokull en Islande 1783.

De façon surprenante, des changements climatiques mineurs dus à des éruptions volcaniques peuvent aussi avoir joué un rôle essentiel dans l'un des événements fondateurs de l'Histoire moderne : la Révolution française. Dans sa fondamentale Histoire du climat depuis 1'an mil, Emmanuel Le Roy Ladurie recense avec des détails très précis les mauvaises récoltes et les moissons désastreuses dont souffrit la France durant les six années qui précédèrent immédiatement la Révolution. La situation connut son point culminant avec le dur hiver 1788-1789 et l'un des mois de mai les plus froids qu'on ait jamais vus avant la prise de la Bastille. Cette année-là, les vendanges furent "épouvantables".

Il se trouve qu'un des meilleurs récits sur le temps qu'il a fait ces années-là nous vient de Benjamin Franklin, qui résidait en France depuis 1776. II écrivait, en mai 1784 :

  • Pendant plusieurs des mois de l'été 1783, alors que l'effet des rayons du soleil pour réchauffer la Terre en ces régions septentrionales aurait dû être au plus fort, un brouillard constant recouvrit l'Europe et une partie de l'Amérique du Nord. Ce brouillard était permanent. Il était sec. Les rayons du soleil semblaient presque impuissants à le dissiper alors qu'ils dispersent aisément une brume humide qui s'élève des eaux. En le traversant, ils devenaient si ténus que, concentrés par le foyer d'une loupe, c'est à peine s'ils enflammaient du papier brun. Naturellement, leurs effets sur le réchauffement du sol en furent grandement diminués. Ainsi, la surface resta presque gelée. Par conséquent, la couche de neige ne fondit pas et ne cessa de s'épaissir... L'hiver de 1783-1784 fut peut-être plus sévère que n'importe lequel depuis de longues années.

Franklin s'interrogeait : «La cause de ce brouillard universel n'est pas encore connue avec certitude... On ne peut encore affirmer que ce soit dû à la vaste quantité de fumée longuement émise durant l'été par l'Hekla en Islande, ou par cet autre volcan [le Skaptar Jekull] qui est sorti de la mer près de l'île, et dont la fumée peut k avoir été répandue par les divers vents. » Il ne pouvait pas savoir qu'outre les manifestations volcaniques islandaises, l'Asama, au Japon, avait connu la même année une des éruptions les plus fortes de l'Histoire. Selon toute probabilité, elle constitua la cause déterminante de la froidure inhabituelle des années 1780 et contribua à la médiocrité des récoltes et à l'apparition des troubles sociaux qui furent le prélude de 1789.

L'influence du climat sur l'histoire des hommes est un problème extrêmement complexe et les historiens sont fréquemment en désaccord sur l'importance réelle qu'il faut accorder au rôle du climat. II interagit toujours avec les facteurs sociaux, politiques et économiques qui dominent notre approche traditionnelle des faits historiques. Mais, à en juger d'après les preuves circonstancielles, nombre de bouleversements climatiques s'avèrent extrêmement significatifs, et même prédominants, dans la formation de l'opinion publique et de ses attitudes immédiatement avant les bouleversements politiques.

Certes, il paraît clair que les changements climatiques ne sont qu'une des causes parmi toutes celles qui conduisent à une chaîne d'événements. Et ce n'est pas parce que le climat a été largement ignoré par les historiens classiques qu'il doit soudain acquérir un rôle d'explication unique.

Néanmoins, l'impact de ses variations sur la stabilité politique et sociale se révèle considérable. Puisque nous partons de l'hypothèse que l'espèce humaine est en train de transformer le climat de la planète entière dans une proportion bien plus grande – et bien plus rapidement – que tout ce que nous avons pu subir dans notre histoire, nous ferions bien de nous pencher sur les leçons que nous propose la nature.

S'ils ont contribué aux famines et aux troubles politiques, les changements climatiques ont produit un effet des plus spectaculaires en provoquant des transferts de population massifs d'une aire géographique à une autre. Ainsi, l'une des plus grandes migrations de l'Histoire – celle qui a marqué l'introduction de l'espèce humaine en Amérique du Nord puis en Amérique du Sud – a directement résulté d'un changement climatique. Pendant la dernière glaciation, il y a vingt mille ans environ, des quantités gigantesques d'eau de mer gelèrent. Le niveau moyen des océans se situait à quelque cent mètres plus bas qu'aujourd'hui. De grandes portions de ces fonds marins que nous appelons plateau continental se trouvèrent à sec et des bras de mer peu profonds, comme le détroit de Behring ou le golfe de Carpentarie, étaient alors des isthmes. Ces isthmes ouvrirent en quelque sorte les routes qu'empruntèrent dans leurs errances les ethnies que sont maintenant les aborigènes d'Australie, ainsi que les nomades asiatiques que nous nommons maintenant, en Amérique du Nord, les Américains indigènes et, en Amérique du Sud, les Indiens. Quand les glaciers reculèrent, le niveau de la mer remonta de nouveau, il y a dix mille ans, et les aborigènes et les Américains indigènes furent pris au piège sur leurs nouveaux continents. Parallèlement, avec la remontée des températures, le climat planétaire adopta des caractéristiques générales qui se sont à peu près maintenues depuis.

En fait, l'ère glaciaire donna ses vraies racines à toute la civilisation humaine. Les peintures rupestres, qui constituent la première forme connue de communication écrite, remontent à dix-sept mille ans, à l'époque où les hommes recherchèrent l'abri et la chaleur des cavernes pendant le plus froid des millénaires. Il est vrai que la plupart des scientifiques estiment que la succession des ères glaciaires et des périodes interglaciaires donna son impulsion au développement de formes d'organisations sociales rudimentaires. Les données archéologiques et anthropologiques montrent qu'à chaque épisode de retrait des glaces, les peuples du bloc eurasiatique se sont accrus tandis que leur culture progressait.

Entre 8000 et 7000 avant Jésus-Christ, quand revinrent des conditions climatiques favorables et que les glaces fondirent jusqu'à leurs limites actuelles, la région que nous connaissons sous le nom de Mésopotamie vit l'apparition des premiers surplus agricoles. On pense que la commercialisation de ces surplus est à l'origine de l'invention de la monnaie, de l'apparition, chez les premières communautés, d'une architecture de briques et de pierres, et de la naissance d'une large gamme d'arts et de techniques. Jéricho, par exemple, la plus ancienne ville connue, fut fondée pendant cette période, alors même que l'Europe se remettait à peine de la glaciation.

Mais il est devenu évident que le climat a été plus fondamental encore pour le développement de l'humanité. Les anthropologues, les biologistes de l'évolution et les experts en climatologie ont croisé récemment l'histoire des changements climatiques avec les données anthropologiques. Ils sont parvenus à une conclusion commune : l'évolution qui a conduit à l'homme a démarré pendant la transition spectaculaire qui a affecté le schéma global du climat, il y a six millions d'années.

La période majeure de refroidissement général, progressivement apparue il y a plus de cinq millions d'années, correspond à la naissance des premiers hominidés, les australopithèques. Celle-ci se produisit parce que, de l'avis de nombreux savants, au moins une espèce de singes arboricoles fut capable de s'adapter à la disparition de son habitat forestier, en apprenant à aller chercher sa nourriture sur le sol et à marcher sur ses deux membres postérieurs, libérant ainsi les mains – qui avaient évolué dans le sens d'une meilleure préhension des branches des arbres – pour porter des aliments ou des objets, dont certains, plus tard, deviendraient des outils.

Dans cette optique, la seconde période de refroidissement global, intervenue il y a deux millions et demi d'années, plus extrême et plus rude, explique la « poussée », le stimulus évolutionniste qui s'est traduit par l'émergence d'un rameau nouveau, plus avancé et plus robuste, d'australopithèques. Ces derniers ont été finalement remplacés par le genre Homo, apparu il y a cent mille ans, après quatre glaciations relativement brèves – en termes géologiques – mais extrêmes, juste avant le dernier âge glaciaire. Cette période de changement écologique accordait une prime aux cerveaux plus gros, indispensables à une adaptation aux conditions climatiques rapidement changeantes. Les découvertes nouvelles qui relient l'entrée en scène de l'Homo sapiens aux variations du climat global ont résolu un des mystères de l'histoire de l'humanité, en nous fournissant, au moins en termes d'écologie, le chaînon manquant dans le déroulement de notre évolution. Ainsi, il y a quarante mille ans, l'« explosion » culturelle dont témoignent outils et bijoux a sans doute coïncidé avec un millénaire inhabituellement chaud.

Dans le Nouveau Monde, une analyse nouvelle des données climatiques pourrait apporter quelque lumière sur l'énigme de l'ascension et de la décadence de la civilisation maya classique, qui commença de prospérer vers 250-300 après Jésus-Christ, dans le Yucatan, au sud du Mexique, et en Amérique centrale. Pour des raisons qui manquent encore de clarté, et qui suscitent de vifs débats entre les archéologues et les historiens, la culture maya s'effondra soudain vers l'an 950. Les Mayas avaient bâti d'extraordinaires cités, dotées d'un réseau élaboré de citernes souterraines et de monuments aussi considérables que tout ce qui avait été construit à cette époque dans le monde. Elles possédaient notam- ment des observatoires raffinés, à partir desquels les astronomes mayas avaient pu calculer la durée exacte de l'année solaire et du mois lunaire. Ils avaient déterminé l'orbite de la planète Vénus, et parvenaient même à annoncer les éclipses. Les mathématiciens mayas, de leur côté, avaient découvert le concept du zéro. Et, pourtant, cette culture élaborée connut une fin abrupte. Les cités furent mystérieusement abandonnées, mais non détruites. On cessa, tout d'un coup, de fabriquer des poteries délicates ou des objets sculptés, d'élever des monuments et des temples, de tenir des archives, de préparer des calendriers. En un peu plus de cinquante ans, les centres religieux et les campagnes perdirent leur population. Les scientifiques ont élaboré un grand nombre de théories pour rendre compte de ces phénomènes : de la violence intestine à une invasion inconnue, en passant par des typhons, des tremblements de terre, l'épuisement des terres arables, la sécheresse, la progression de la végétation des savanes ou la surpopulation.

Ce qu'aucune étude n'a encore suggéré, c'est qu'une modification du schéma général du climat pourrait expliquer l'implosion de la culture maya. Et, pourtant, les données que l'on possède donnent à penser que vers 950, les températures moyennes s'élevèrent et que le climat changea. Précisément à la même époque, Leif Eriksson, partant des nouveaux établissements créés au Groenland par son père, Erik le Rouge, traversa le détroit de Davis et devint le premier Européen à poser le pied en Amérique du Nord, qu'il baptisa Vinland.

C'est à ce moment que débutait la période de changement du climat global appelée « optimum climatique du Moyen Âge ». Bien qu'on la considère habituellement comme un phénomène purement européen, il paraît évident qu'elle s'étendit aussi à l'Amérique du Nord. De toute façon, elle y expliquait la présence d'Européens. Jusqu'aux environs de l'an 900, les routes entre la Scandinavie et l'Islande et les nouvelles communautés du Groenland étaient prises par les glaces et auraient été impraticables. À la fin de l'optimum climatique, vers 1300, les températures moyennes redescendirent et, à nouveau, la glace bloqua les passages maritimes. Les expéditions occasionnelles en direction du Vinland avaient déjà cessé et, bientôt, les navires ne pourraient plus retourner en Islande pour apporter du ravitaillement au Groenland. Une génération plus tard, les derniers colons moururent de froid, et le voyage de Leif Eriksson fut éclipsé dans l'Histoire par celui d'un Européen du Sud, Christophe Colomb.

Mais qu'advint-il du climat du Yucatan vers 950 ? Si un changement climatique avait permis la colonisation du Groenland et, même par intermittence, de l'Amérique du Nord, n'aurait-il pas rendu la situation intenable pour la civilisation maya, en amenant une transformation de la faune et de la flore, en induisant des migrations vers le nord de parasites montés des régions équatoriales, en changeant le régime des pluies ? Le dur soleil tropical n'aurait-il pas prélevé son tribut sur des populations accoutumées à un climat plus frais et plus hospitalier ? Tout cela pourrait nous donner une solution, au moins partielle, au mystère de la disparition des Mayas.

La baisse des températures, au début du 14è siècle, provoqua de graves problèmes, tant en Europe qu'en Asie. Pour commencer, la transition climatique se traduisit soudain par des vagues d'humidité qui balayèrent les îles Britanniques et le continent européen. Pendant près de dix ans, des récoltes pourries sur pied et des inondations firent peser sur les peuples européens une série de famines qui culminèrent dans la Grande Famine de 1315-1317. En 1315, Guillaume de Nangis rapporta que, dans les diocèses de Chartres et de Rouen, les foules affluaient vers les églises, en processions terrifiées, pour implorer la fin de ces pluies incessantes. Cette année-là, et la suivante, les récoltes de grain furent complètement détruites. Selon Le Roy Ladurie, l'été 1316 fut « si humide que l'on n'arrivait même pas à tondre les moutons à cause de l'incongruité des intempéries » !

Trente ans plus tard, juste avant la Peste Noire, quatre années de mauvais temps et de récoltes plus que médiocres provoquèrent une malnutrition générale et, conséquemment, une vulnérabilité accrue à la maladie, ce qui conduisit certains à redouter une répétition de la Grande Famine. Ces craintes stimulèrent les importations de grain, en provenance d'Asie Mineure et d'ailleurs, qui amenèrent, à Constantinople d'abord, puis à Messine et à Marseille, des rats infectés. À partir de là, les rats et le bacille dont ils étaient porteurs se répandirent et, en deux ans seulement, poussèrent au tombeau un tiers de la population de l'Europe occidentale. La peste elle-même venait de Chine, où les premiers décès qu'on peut lui attribuer furent enregistrés en 1333. Un an auparavant, à la suite du même changement du climat planétaire qui amenait tant de pluviosité sur l'Europe, des pluies exceptionnellement abondantes sur la Chine s'étaient traduites par des crues répétées du fleuve Jaune, qui n'avait cessé d'empirer depuis 1327. La plus grave se produisit en 1332 : selon les documents, plus de sept millions de Chinois périrent.

« Il fait peu de doute que les eaux avaient détruit les habitats des animaux tout autant que villes et villages, y compris ceux des rongeurs porteurs de la peste, écrit l'historien Hubert H. Lamb. Ce n'est probablement pas pure coïncidence si la pandémie de peste bubonique, qui ravagea ensuite le monde sous le nom de Peste Noire, prit naissance en Chine en 1333 » : précisément l'année suivant la grande inondation, où les cadavres en décomposition avaient été, à coup sûr, innombrables.

L'une des variations climatiques les plus importantes et les mieux attestées est connue sous le nom de « petit âge glaciaire » (1550-1850). On l'associe avec des changements sociaux majeurs dans l'Europe tout entière. Les gens passèrent plus de temps à l'intérieur, pour se réchauffer autour des cheminées devenues lieux de convivialité. En conséquence, pour une part du moins, un nouveau type de relations sociales se mit en place. Les échanges d'idées sur des sujets comme la science devinrent plus intenses. Les arts et la littérature s'imprégnèrent d'idéalisme, tandis qu'en politique, le concept d'individu acquit une importance nouvelle. Mais à l'extérieur, les nouvelles conditions climatiques se révélaient dures pour beaucoup en Europe du Nord.

À cause des difficultés éprouvées dans la pêche à la morue et des médiocres récoltes, les Écossais subirent des famines successives et commencèrent à quitter leurs terres. En 1691, quelque cent mille Écossais – un dixième de la population – avaient préféré s'installer dans la partie de l'Irlande la plus proche de l'Écosse, l'Ulster (aujourd'hui l'Irlande du Nord), forçant au départ les Irlandais d'origine et créant les gigantesques problèmes qui, aujourd'hui encore, engendrent une violence à laquelle on ne voit pas de fin.

Dans les années qui suivirent l'immigration écossaise, la population de l'Irlande tout entière continua d'augmenter. Les historiens s'accordent en général pour reconnaître que la Verte Érin entra alors dans une situation de chaos politique. Le pouvoir britannique ne cessa de prendre des décisions irréfléchies. Celle du roi Jacques VI de faciliter l'installation des Écossais n'en fut que la première. Des règles de propriété archaïques favorisèrent la formation d'une culture de la pauvreté qui, à son tour, produisit des mariages précoces et, par voie de conséquence, un nouvel accroissement de la population. Entre 1791 et 1841, la population de l'Irlande avait progressé de 172 %, ce qui faisait d'elle, selon les estimations de Disraeli, le pays le plus densément peuplé d'Europe. La décision fatale de recourir à une culture vivrière presque exclusive, la pomme de terre, ouvrit la voie à la tragédie épouvantable que fut la Grande Famine.

À l'approche de la fin du «petit âge glaciaire », les températures moyennes s'élevèrent légèrement, assez pour créer les conditions de chaleur et d'humidité propices à la maladie de la pomme de terre. Les études de laboratoire modernes ont montré que la maladie particulière qui frappa l'Irlande, le Phytophtora infestans, n'a besoin pour se développer que d'une période d'au moins douze heures, sous une humidité relative de 90 % ou davantage et une température d'au moins 10 °C, et d'un arrosage continu des feuilles pendant quatre heures de plus. La probabilité de telles conditions était relativement faible pendant le « petit âge glaciaire », lorsque l'Irlande avait commencé de dépendre exclusivement de la culture de la pomme de terre. Vers 1845, avec la nouvelle tendance au réchauffement, cette probabilité s'accrut.

La maladie, semble-t-il, provenait d'une nouvelle variété de pomme de terre originaire du Pérou. Elle fit son apparition au nord-est des États-Unis en 1843, et dans les Flandres l'année suivante. L'été 1845, les spores s'étaient répandues dans toute l'Irlande. L'hiver avait été l'un des plus chauds que le pays eût connu. Le printemps fut chaud, lui aussi, avec une température moyenne de 2, 5 °C plus élevée que la médiane séculaire. L; été, dans son ensemble, se révéla, à une seule exception, le plus chaud du siècle. En outre, on compta soixante-quatre jours de pluie en juillet, août et septembre, dont vingt-quatre pour le seul mois d'août.

La maladie frappa avec une force terrible la plante qui, pour l'Irlande, signifiait la vie. En quelques années, plus d'un million d'Irlandais moururent de faim ou de maladies liées à la malnutrition. Cultiver sur de vastes étendues une plante unique, au lieu de plusieurs, cela s'appelle la monoculture. Le problème, c'est que cette pratique porte en elle le risque d'une vulnérabilité du végétal en question à une maladie ou à un parasite résistant qui, en un temps très bref, peuvent détruire toute la récolte. Le risque est plus grand encore si une seule variété est utilisée. Les Irlandais en étaient venus à faire confiance à une espèce particulière de pomme de terre qui optimisait les rendements dans les conditions climatiques connues depuis trois cents ans. L'histoire de la Grande Famine irlandaise nous apprend le danger des modifications artificielles de nos rapports avec la nature, comme le passage à la monoculture, quand elles ne prennent pas en compte les variations du climat : elles multiplient le degré de vulnérabilité des sociétés. Elle nous montre aussi comment un réchauffement rapide peut provoquer une catastrophe.

Au cours de l'Histoire, des bouleversements climatiques comme celui qui fut à l'origine de la tragédie irlandaise ont provoqué des migrations de masse vers des pays plus riches, en particulier vers les États-Unis. Trois décennies auparavant, la grande disette de 1816-1817 avait, elle aussi, accéléré les flux migratoires, non seulement de l'Europe vers les États-Unis mais aussi à l'intérieur des États-Unis eux-mêmes, car les effets du changement de climat s'étaient fait sentir bien au-delà du continent européen. Par exemple, les récits du départ de nombreux habitants de l'État du Maine vers l'Ouest indiquent qu'après les printemps de 1816 et de 1817, « inhabituellement froids et durs », une psychose collective de famine « donna un nouvel élan à la fièvre de l'émigration. Des centaines de gens, propriétaires de leurs maisons, les vendirent pour une bouchée de pain, et se hâtèrent de partir vers des contrées plus lointaines ». Le rapport entre l'émigration à partir du Maine et les changements climatiques induits en 1816-1817 par l'éruption du Tambora est mis en évidence par les statistiques : celles-ci montrent qu'après le retour au schéma climatique courant (lorsque les cendres du volcan furent retombées), la population du Maine reprit sa croissance en 1818. Les archives prouvent que les phénomènes analogues touchèrent le New Hampshire, le Vermont, le Connecticut, et les Caroline, du Nord et du Sud.

Mais la plus grande migration interne de l'histoire des États-Unis fut peut-être celle qui poussa au départ des masses de paysans originaires du Kansas, de l'Oklahoma, du Texas, d'une partie du Nouveau-Mexique, du Colorado, du Nebraska et d'autres États de la Prairie pendant la période qu'on appelle « les années du Dust Bowl' », au début de la décennie 1930-1940. Comme la Grande Famine irlandaise, le Dust Bowl constituait le résultat d'une utilisation inconséquente du sol, qui en accrut la fragilité – et celle de ceux qui l'exploitaient – face à des changements de climat imprévus. Au début des années 1920, l'agriculture de toute la Prairie avait connu une révolution. La mécanisation avait apporté le tracteur, la moissonneuse-batteuse, le labourage en lanières et le camion. Ces nouveautés, à leur tour, avaient entraîné le « grand remuement » de la fin des années 1920. Les experts agronomes pensaient, à tort, que des labourages répétés de l'humus jusqu'à ce qu'il soit ramolli, et même pulvérisé, amélioraient sa capacité d'absorber et retenir l'eau de pluie. En fait, la recherche agronomique s'était concentrée sur les meilleurs procédés en vue d'accroître l'absorption d'humidité, mais elle avait complètement négligé le problème de l'érosion éolienne, qui devint une menace bien plus grave, en raison même des nouvelles méthodes culturales.
1. Dust Bowl signifie, littéralement, « cuvette de poussière ». Mais l'expression fait aussi référence à la cuvette, au sens géographique du terme, où sont situés les États de la Prairie, entre les Rocheuses et les Appalaches. (N.d.T.)

Pendant quelques années, on enregistra des récoltes record. On ignora les premiers signaux d'alarme de l'érosion éolienne. Même quand des terres étaient laissées en friche, les fermiers persistaient à les labourer pour lutter contre les mauvaises herbes et, là encore, pour faciliter l'humidification, afin de s'assurer d'un bon départ quand ces surfaces seraient à nouveau cultivées en céréales.

L'automne 1930 et le printemps et l'été 1931 apportèrent de fortes pluies et des temps difficiles, mais la récolte n'en fut pas moins superbe. Après un hiver sec, les vents en mars 1932 soufflèrent en tempête sur toute la région et emportèrent avec eux une bonne part de la terre arable. On enregistra un déficit de la pluviosité au printemps suivant mais, au début de l'été, des inondations dues à de fortes pluies, qui mettaient fin à une sécheresse quasi permanente, décapèrent davantage le sol.

Les grands tourbillons de poussière débutèrent en janvier 1933 et se poursuivirent, par intermittence, pendant quatre ans, ravageant les récoltes, décourageant les agriculteurs et en poussant beaucoup à prendre leurs cliques et leurs claques pour la Californie ou pour la côte Est. En 1934, le secrétaire à l'Intérieur, Harold Ickes, en était venu à conseiller tout bonnement aux miséreux de l'Oklahoma d'abandonner leurs foyers. Ceux qui restèrent sur place – en fait, la majorité – traversèrent de terribles épreuves. Dans le Colorado, le rédacteur en chef du Morton County Farmer pouvait écrire, au printemps 1935 :

  • De nos fenêtres, nous n'apercevons rien, que de la poussière. Chaque fois que nos maxillaires se rejoignent (ceux du dentiste aussi. Ou bien, également, le râtelier qu'on nous a offert), nous sentons la poussière, et nous la goûtons. Il y a des heures que je n'entends plus rien, parce que mes oreilles sont pleines de poussière. Je ne perçois plus aucune odeur. Et je ne peux plus marcher. Mais ce ne sont pas mes pieds qui remplissent mes chaussures... Nous ne sommes pas encore sortis d'un ouragan de poussière. Depuis deux jours, nous ne savons plus ce qu'est la vie réelle. Tout est recouvert d'un peu du Mexique, du Texas, du Colorado, ou de tout ce que vous voudrez... La terre parait dure et stérile. Tout le monde a la figure sale, et même nos créanciers ne nous reconnaîtraient pas. Mais nous ne pouvons pas nous échapper. Même pas par la porte d'entrée. Maintenant, nous vivons dans des trous et nous glissons sur nos marches pour y descendre. Sauter par la fenêtre devient très amusant, quand on en a pris l'habitude.

Il fallut monter des hôpitaux de campagne pour traiter les nombreux cas de « pneumonie de la poussière », en fait une série de lésions des bronches et de troubles respiratoires dus à l'inhalation permanente de poussière. Les tempêtes emportaient leur butin jusqu'à l'océan Atlantique. La situation ne put se stabiliser qu'en 1937. L'histoire des changements climatiques est aussi, bien entendu, l'histoire de l'adaptation de l'homme à ces changements. Par exemple, pendant la disette de 1816-1817, les tendances bureaucratiques et autoritaires de l'État moderne connurent un élan nouveau. Dans tous les pays européens, ou presque, les gouvernements assurèrent la répartition et la distribution des rares ressources disponibles, et importèrent directement du grain d'Odessa, de Constantinople, d'Alexandrie et d'Amérique. Pour la première fois, on mit sur pied de grands chantiers publics, dans l'espoir d'apaiser les remous sociaux et les émeutes de la faim. Pendant les années 1930, le Dust Bowl figura au nombre des terrifiants problèmes sociaux et économiques qui conduisirent à l'instauration d'une version plus complexe encore de l'État administratif, le New Deal de Franklin Roosevelt.

Nous devons nous souvenir que tous ces changements climatiques impressionnants sont intervenus à la suite de variations des températures moyennes n'excédant pas 1°C ou 2°C. Mais aujourd'hui, à la fin du xxe siècle, nous sommes en train d'élever la température de notre atmosphère dans des proportions trois ou quatre fois supérieures, et de provoquer des altérations du climat planétaire qui auront un impact incalculable sur l'humanité tout entière. S'il faut en croire les leçons de l'Histoire, l'une des conséquences les plus dramatiques consistera en transferts massifs de populations des zones où la vie normale aura été interrompue vers celles où on trouvera les moyens de survivre et de mener une vie meilleure.

Dans les décennies à venir, dix millions d'habitants du Bangladesh perdront leur foyers et leurs moyens de subsistance par suite de l'élévation du niveau des mers engendré par le réchauffement global. Où iront-ils ? Qui chasseront-ils ? Quels conflits politiques en résultera-t-il ? S'il faut en croire certaines extrapolations, c'est 60 % de la population de la Floride' qui devra être déplacée peu après la catastrophe qui se sera abattue sur le Bangladesh. Où la réinstallera-t-on ? La Floride a déjà encaissé de plein fouet l'une des plus grandes migrations provoquée par des problèmes écologiques de ce siècle : au cours des dix dernières années, un million environ d'Haïtiens ont cherché refuge aux États-Unis – non seulement pour fuir un régime d'oppression, mais aussi parce qu'un des pires phénomènes de déforestation et d'érosion des terres arables du monde les avait privés de toute possibilité de culture vivrière. Bien que de nombreux émigrants en provenance d'Haïti aient pu être intégrés, la plupart ne l'ont pas été, et tous ont enduré de grandes souffrances, affrontant un voyage aux mille périls dans l'espoir d'un avenir incertain.
2. La Floride a une altitude moyenne comparable à celle des Pays-Bas. (N.d.T.)

Sir Crispin Tickell, diplomate britannique et spécialiste des problèmes de l'environnement, notait, dans un discours prononcé en 1989 devant la Royal Society de Londres : « D'énormes concentrations de population se sont formées dans les basses terres des grands systèmes fluviaux. Près d'un tiers de l'humanité vit à moins de soixante kilomètres d'un rivage côtier. Une hausse de vingt-cinq centimètres du niveau moyen des mers aurait des effets considérables... Elles créerait des problèmes d'une ampleur à laquelle nul n'a encore été contraint de faire face... Dans pratiquement tous les pays, le nombre croissant de réfugiés jetterait sur l'avenir une ombre noire et durable. »

Nous, habitants du monde industrialisé, disposons maintenant de la capacité de protéger la majorité d'entre nous des souffrances, des maladies, de la famine et des migrations forcées qui, autrefois, constituaient les séquelles inévitables d'une modification du climat planétaire et des changements subséquents des schémas météorologiques dont dépendaient ces civilisations fragiles. Mais nous nous protégeons en brûlant toujours plus de combustibles fossiles, et en produisant davantage de gaz carbonique. Et tandis que nous poursuivons notre expansion dans toutes les niches écologiques concevables, la fragilité de notre propre civilisation devient tous les jours plus manifeste. Qui plus est, notre aptitude à nous adapter à la variabilité du climat diminue au fur et à mesure que la population augmente.

En l'espace d'une seule génération, nous risquons de modifier notre enveloppe climatique dans des proportions bien plus spectaculaires que n'importe quel volcan, et les séquelles s'en feront encore sentir dans les siècles à venir. La progression de la température moyenne, pour ne prendre que cet exemple, pourrait être cinq fois supérieure à l'écart constaté pendant le « petit âge glaciaire ».

Dans la mesure où l'accroissement du rayonnement ultraviolet affaiblit nos systèmes immunitaires, en même temps que la croissance explosive d'une population de plus en plus urbanisée continue de jeter bas les schémas culturels traditionnels, ce sont des centaines de millions de gens qui pourraient être atteints par des épidémies lorsque des espèces entières de parasites, de germes et de virus migreront sous l'effet des changements climatiques. Mais comment le monde réagira-t-il ? À l'époque de la Grande Famine en Irlande, la conjonction d'un respect aveugle pour les théories du « laisser-faire », d'une froide indifférence au malheur, du racisme anti-irlandais et d'un antipapisme fervent, avait rendu le Royaume-Uni incapable de trouver une réponse simplement humaine. Étant donné les progrès de la conscience universelle depuis lors, il est difficile d'imaginer que pareille tragédie serait tolérée aujourd'hui. Mais il n'en est pas moins vrai que le nombre des enfants qui meurent de faim chaque jour dans notre monde moderne est quarante fois plus élevé qu'il ne le fut jamais au plus fort de la Grande Famine. Les scènes que nous voyons se dérouler sous nos yeux, en direct, égalent en horreur les récits de 1846. Un respect tout aussi aveugle pour le « laisser-faire » l'inefficacité corrompue des gouvernements des pays concernés, la paralysie qu'engendre ne serait-ce qu'un soupçon de racisme, tout cela, combiné à l'aveuglement volontaire de ceux qui optent pour la politique de l'autruche, suffit à engendrer les grandes famines de notre temps.

Il est vrai que, dès les années 1980, des analyses démontraient déjà de manière irréfutable que l'apparition de famines répétées dans la zone africaine qui inclut l'Éthiopie, le Soudan et la Somalie coïncidait avec une modification, peut-être fondamentale, du régime des pluies. À en croire le rapport, publié dans Science en 1987, d'une équipe de chercheurs qui avaient décelé une variation significative dans les régimes des précipitations au cours des dernières décennies, après avoir mis en équation lesdonnées climatiques recueillies sur plus d'un siècle et demi, « il y eut peu de variations jusqu'aux années 1950, quand, après un épisode relativement humide, les précipitations [en Afrique du Nord-Ouest et au Moyen-Orient] ont connu une baisse formidable ». Cette baisse, poursuivait le rapport, a été accompagnée « d'un accroissement significatif, et simultané, des précipitations [en Europe] ».

Ces chercheurs redoutaient que cette tendance observée sur quarante-cinq ans – elle n'est, au demeurant, que l'une des causes des famines répétées et persistantes – ne témoigne de l'une des premières conséquences du réchauffement global. Si c'était le cas, elle nous donnerait un signe avant-coureur de bouleversements bien plus dramatiques dans nos schémas climatologiques.

Il nous est possible de tirer certaines conclusions des observations de ces chercheurs. Et au moins une certitude : des sociétés fragiles, plongées dans un univers d'abondance et de richesse, passent par des tourments insoutenables, à cause, notamment, des changements climatiques. Mais le reste du monde, pour le moment, que dix-huit millions d'habitants, et elle avait fait preuve d'assez de ressort pour surmonter ces conditions extrêmes. En 1991, avec trente-deux millions d'habitants, la Californie a pu encore démontrer la même capacité de résistance. Mais moins de quatre-vingt mille exploitants agricoles utilisaient 85 % de ses ressources en eau. Dans cette période de croissance démographique exceptionnelle, nous nous sommes habitués à penser que la pression exercée par la population sur l'environnement représente un phénomène nouveau. Mais il s'agit en réalité d'un problème récurrent dans l'histoire des transformations du milieu. Les historiens du climat se sont ainsi demandé si une expansion analogue, au-delà des capacités d'accueil de l'environnement, ne fournirait pas une explication à la mystérieuse disparition, vers 1280, de la civilisation anasazi, qui peuplait le spectaculaire habitat des falaises de la Mesa Verde, dans le sud-ouest du Colorado. Des données très sûres indiquent que cette disparition correspond à une sécheresse qui, quoique sévère, n'était pas plus grave que les précédentes que ces troglodytes avaient dû endurer. Les archéologues ont montré cependant qu'il existait une différence essentielle : la population anasazi s'était considérablement accrue, juste avant de disparaître.

L'enseignement à tirer de ces événements est évident. Notre civilisation planétaire qui, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avait atteint un niveau inférieur à moins de deux milliards et demi d'âmes pourrait bien, en quadruplant en l'espace d'une vie d'homme, augmenter de manière dramatique sa vulnérabilité aux changements climatiques extrêmes que nous sommes nous-mêmes en train d'engendrer.

Les symptômes de cette vulnérabilité sont déjà clairement visibles. Et non pas seulement au Sahel, ou en Amazonie, ou dans la mer d'Aral, mais aussi en Californie, en Floride, et dans les États de la Prairie qui tirent maintenant sur la nappe phréatique avec autant d'inconscience que les fermiers du Kansas qui, naguère,n'a pas trouvé d'autres remèdes à leurs maux que des cautères sur une jambe de bois.

Plus encore, nous ne faisons rien pour guérir les causes de la catastrophe qui se prépare, alors même que la communauté scientifique, unanime ou à peu près, nous avertit à haute et intelligible voix que notre civilisation suscite des changements climatiques fondamentaux, bien plus importants que tout ce que l'humanité a pu connaître au cours des dix mille dernières années. L'Histoire nous a appris que de tels changements peuvent provoquer des troubles sociaux et politiques sans précédent, en particulier dans les sociétés vulnérables qui souffrent de surpopulation. Nous préférons ignorer les leçons de la Grande Famine d'Irlande, et nous modifions nos pratiques agricoles, dépendant chaque jour davantage de la monoculture.

Nous voulons aussi ignorer les leçons du Dust Bowl. Les changements spectaculaires des techniques culturales qui se révèlent finalement désastreux sont bien plus nombreux qu'à cette époque-là. Le déboisement massif des forêts tropicales constitue, bien évidemment, un désastre écologique de première grandeur, à côté duquel le Dust Bowl fait pâle figure – en particulier parce que la terre a pu guérir de sa maladie de la poussière, alors que les séquelles de la déforestation dureront peut-être des dizaines de millions d'années. L'irrigation brutale des déserts qui entourent la mer d'Aral constitue, elle aussi, une erreur tragique qu'il sera très difficile, voire même impossible de réparer.

Parfois, les dégâts causés par un mauvais usage du sol sont plus subtils. En Californie, on a pu penser à un moment, qu'utiliser les ressources en eau du nord de l'État pour irriguer, au sud, des rizières conquises sur le désert était une bonne idée – jusqu'à ce qu'un nouveau cycle de sécheresse frappe l'Ouest dans les années 1980. Dans les années 1930, pendant la dernière période de sécheresse dont la gravité approchait celle-ci, la Californie ne comptait pulvérisaient leurs terres jusqu'à ce qu'elles s'envolent. La pression de la population sur les contreforts de l'Himalaya s'est traduite, en quelques décennies, par une déforestation si intensive que les pluies dévalent maintenant librement les pentes, jusqu'au Bangladesh et à l'Inde orientale, emportant des masses gigantesques de sol cultivable qui envasent le Gange et ses affluents, et aggravent les inondations. Les eaux du golfe du Bengale arborent, presque en permanence, une couleur brune due à ces terres arrachées qui devraient porter des récoltes.

Nous voyons bien aujourd'hui que la relation entre l'espèce humaine et les changements climatiques s'est inversée : autrefois, la civilisation redoutait les caprices de la nature. C'est la terre, maintenant, qui souffre des nôtres. Il faut également noter que le rapport entre l'humanité et l'évolution a commencé à s'inverser, lui aussi. Les géologues nomment « cénozoïque » l'ère dans laquelle nous vivons. Le cénozoïque a débuté il y a 65 millions d'années, avec la disparition des dinosaures, et il a été marqué par l'apparition d'espèces vivantes plus nombreuses et plus diverses que pendant aucune autre période des 4, 6 milliards d'années que compte notre planète. Mais, comme le fait remarquer le théologien Thomas Berry, la civilisation humaine, en détruisant, sur la durée d'une vie, plus de la moitié des espèces vivantes, est en train de mettre fin au cénozoïque. Que se passera-t-il ensuite ?

En 1816, « l'année sans été » s'est traduite par des famines massives et a favorisé l'émergence de l'État administratif. Que produira donc le réchauffement global ? La naissance d'une bureaucratie planétaire pour gérer les problèmes inimaginables créés par des bouleversements sociaux et politiques colossaux, par des migrations de masse et la poursuite des atteintes à l'environnement par la civilisation elle-même ? Est-ce cela que nous voulons ?...


Mis en ligne le 08/02/2009 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pratclif.com