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Comme tout citoyen, Claude Allègre est libre d'exprimer une opinion sur le changement climatique, le temps qu'il fait ou tout autre sujet. Il ne s'en prive d'ailleurs pas - pourquoi le ferait-il ? Micros et caméras sont à sa disposition. Familier des plateaux de télévision, l'académicien sait bien que la tribune médiatique est bonne fille : par un réflexe d'" équilibre ", les rédactions sont portées à donner un temps de parole équivalent aux climato-sceptiques et aux experts du climat, dont fort peu ont une vocation de bateleur. Ce souci d'équité masque en réalité une grande paresse intellectuelle : il est plus avantageux d'un point de vue symbolique de jouer l'impartialité, et plus rentable, en termes d'audience, de miser sur la foire d'empoigne que de se donner les moyens de s'immerger dans la climatologie, pour juger sur pièces. Le citoyen Allègre est certes un chercheur, membre de l'Académie des sciences, Prix Crafoord, ancien ministre. Cette qualité donne sans doute le droit de faire valoir un point de vue dans un débat à forte teneur scientifique. Mais elle impose avant tout des devoirs, de rigueur intellectuelle, pour tout dire d'éthique, dont son dernier ouvrage, L'Imposture climatique (Plon), et ses interventions médiatiques sont dénués. Références bibliographiques erronées, citations de résultats scientifiques dont les auteurs eux-mêmes jugent qu'elles déforment leurs propos, " extrapolations " de courbes pour leur faire dire le contraire de ce qu'elles signifient, confusion volontaire entre météorologie et climatologie, contrevérités historiques, contradictions multiples... La liste est trop longue pour qu'on la détaille ici à nouveau. Ce ne seraient là qu'erreurs de forme, quand le fond, les questions pertinentes portées par le géochimiste n'en seraient pas affectés. Et ceux qui s'attacheraient à relever ces détails seraient les défenseurs d'une pensée unique. Mais si les prémisses sont fausses, comment prêter crédit au raisonnement proposé ? La science n'est pas une boîte noire, imperméable à toute compréhension. Quiconque s'y plonge constate que l'immense majorité pointe la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine dans le réchauffement observé lors du siècle écoulé. Le " Climategate ", tentative téléguidée de décrédibiliser les climatologues en pillant leur correspondance, n'y change rien. Pas plus que les corrélations cherchées à toute force entre activité solaire et climat par Vincent Courtillot, successeur de M. Allègre à la tête de l'Institut de physique du globe de Paris, pour dédouaner le CO2 ne sont convaincantes. Sa persistance à utiliser des courbes qu'il sait être erronées ou tronquées, dans des conférences et dans son Nouveau voyage au centre de la Terre (Odile Jacob), laisse perplexe. Mais le consensus, assurent les climato-sceptiques, est le signe d'une science morte. Toutes les révolutions scientifiques se sont faites contre lui. Cette rhétorique du génie méconnu contre l'establishment est un levier puissant vis-à-vis d'une opinion méfiante, parfois à raison, envers les experts. Reste que MM. Courtillot et Allègre ne sont ni Galilée ni Wegener (père de la théorie de la dérive des continents). Le débat sur le réchauffement mérite mieux. De vraies questions sont posées : faut-il miser sur l'avenir pour réparer les dégâts du présent ? S'attaquer aux causes - les émissions de gaz à effet de serre - et/ou s'apprêter à parer aux conséquences (submersions, sécheresses ici, inondations là, migrations des hommes et des agents pathogènes, etc.) ? L'homme peut-il maîtriser sa " nature ", à savoir une propension à l'expansion sans borne dans un monde fini ? En ergotant sur le rôle du CO2, les climato-sceptiques éclipsent ces interrogations. Faut-il pour autant les bâillonner, alors qu'ils pourraient jouer un rôle utile d'aiguillon ? L'appel des quelque 600 climatologues français à leurs tutelles pour arbitrer leur différend ne doit pas en faire des martyrs, ni laisser croire qu'ils ont le monopole du doute. Valérie Pécresse, la ministre de la recherche, est dans son rôle en renvoyant à une mise à plat " entre pairs ", à l'Académie des sciences. A en juger par leur répugnance à se confronter à de fins connaisseurs de leurs " travaux " - ainsi que Le Monde le leur a proposé -, il est clair que MM. Allègre et Courtillot savent bien qu'ils ont tout à y perdre. Quant au tribunal populaire, la sentence est plus incertaine. Symptôme d'une époque qui veut s'entendre dire que le progrès n'est pas mort, M. Allègre se vante d'avoir déjà vendu 120 000 exemplaires de son pamphlet. Il s'exonère de tout jugement scientifique en le qualifiant de " politique ". Ses lecteurs ont été trompés. Ils seraient en droit de lui en demander raison. C'est ainsi que fonctionne la science : les chercheurs dont le raisonnement a été invalidé apportent des correctifs - voire rétractent les travaux défaillants. Le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), vilipendé par M. Allègre, a fait son mea culpa sur une erreur grossière et une imprécision contenues dans les 3 000 pages de son dernier rapport. Peut-on espérer que, lors d'un retirage de son livre, Claude Allègre en propose une version corrigée, sur la forme, mais aussi sur le fond ? Hervé Morin morin@lemonde.fr |