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    L’étrange univers du méthane océanique

    Magazine de la recherche européenne: N°48 février 2006

    On a longtemps pensé que les fonds marins étaient à peu près dépourvus de vie au-delà de la zone de pénétration de la lumière. Les révélations acquises en trois décennies sur la biosphère anaérobique extrêmement active des abysses ont désormais révolutionné la perception du cycle du carbone océanique, où le méthane est le composé qui tient la vedette. Non sans que se pose la question de l'impact de ce puissant gaz à effet de serre sur les bouleversements climatiques

    Mécanisme global de bioproduction de méthane dans les sédiments océaniques
    Le méthane est produit par voie anaérobie au bas de la couche sédimentaire riche en matériaux organiques. La plus grande partie est dégradée par les sulfates. Le gaz non dégradé peut former des hydrates de méthane ou s'échapper par des infiltrations au travers de la couche.
    © D'après MPI-Bremen

    Un atome de carbone et quatre d'hydrogène, la molécule du méthane – CH4 – est familière sous son appellation "gaz naturel". Ce combustible fossile pompé dans les entrailles de la Terre joue aujourd'hui un rôle énergétique privilégié, à la fois en raison de son efficacité à produire de la chaleur et de sa propreté – il dégage nettement moins de CO2 en brûlant que les autres hydrocarbures.

    Le gaz naturel n'est cependant qu'une des formes spécifiques – résultant d'une transformation thermochimique des matières organiques géologiquement enfouies – prises par la présence du méthane dans l'écosystème planétaire. Sa production dans la nature, où il est l'une des "briques" fondamentales du cycle du carbone, est au moins aussi abondante et, en tout cas, généralisée. Elle est due au processus permanent de la dégradation biologique des matières vivantes par des micro-organismes anaérobies (qui ne vivent que dans un milieu privé d'oxygène). Dans l'ensemble de la biosphère, ces lieux "anoxiques", où le méthane est généré, sont caractérisés essentiellement par des conditions humides favorables à ce processus bactérien: boues des marais, sédiments des lacs et des mers, tourbières et permafrost, et jusqu'à l'estomac des ruminants.

    Un regain d'intérêt
    En ces temps de réchauffement climatique, le méthane fait l’objet d’un regain d'actualité. Indépendamment de son intérêt énergétique, il est aussi un puissant gaz à effet de serre, d’autant plus menaçant qu’il est 20 fois plus "échauffant" que le dioxyde de carbone. On considère qu'il représente aujourd'hui 20% du processus actuel d'effet de serre. Et ce rôle n'est pas attribué, du moins pour le moment, à la nature elle-même, mais aux rejets d'origine anthropique. Depuis deux siècles, la quantité de méthane présente dans l’atmosphère a plus que doublé sous le seul effet des activités humaines, alors que le CO2 atmosphérique n’a augmenté "que" de 30%...

    Si l'intérêt croissant que la science porte au méthane tient pour une large part à la prise de conscience de son impact climatique, c'est aussi parce qu'il existe de formidables questionnements venus du fond des océans. Alors qu’on a toujours imaginé les profondeurs sous-marines à peu près dépourvues de vie au-delà de la zone de pénétration de la lumière, la découverte progressive – en à peine trois décennies – d'une intense microbiologie sous-marine a complètement bouleversé les connaissances. "L'une des retombées les plus marquantes de ce changement de perspective est que le fond marin se comporte comme un bioréacteur anaérobie géant dans lequel d’énormes quantités de méthane sont produites", explique le professeur Bo Barker Jørgensen, de l’Institut de Biologie Marine Max Planck de Brême, impliqué notamment dans le projet européen DeepBug.

    Une prodigieuse barrière biologique
    Le mécanisme global de cette production s'explique par la présence, dans l’épaisseur des sédiments océaniques, de milliards de bactéries anaérobies, parmi lesquelles se recrutent les microbes méthanogènes, qui expirent du méthane un peu comme les espèces consommatrices d’oxygène rejettent du CO2. Ces cohortes se nourrissent de matière vivante provenant de la surface. Le plancton marin, très abondant dans la zone lumineuse supérieure de l’océan, génère, en effet, une sorte de pluie organique, à laquelle s'ajoutent les restes décomposés de déchets, de cadavres, d’excréments, etc. Ces résidus tapissent très lentement les fonds et s’y mêlent à la matière minérale. D'autre part, les rivières amènent à l’océan des particules d’origine continentale chargées en nutriments organiques. Ainsi s’accumule, au fil des millénaires, un substrat parfois très épais (jusqu’à plusieurs centaines de mètres) où évoluent ces bactéries et où est produit du méthane.

    "Mais on a découvert que 90% du méthane océanique, aussitôt qu'il est produit, est dégradé par des processus microbiologiques qui utilisent l'importante concentration de sulfate amenée dans les fonds par les eaux marines, poursuit Bo Jorgensen. L'existence de cette barrière naturelle anti-méthane est capitale dans la régulation du climat à l'échelle de la planète entière."

    Ce processus a commencé à être élucidé, il y a six ans à peine, par une jeune microbiologiste allemande, Antje Boetius. "Celle-ci a établi qu'il était le fait de colonies microbiennes extraordinaires, associant des bactéries et des archéobactéries. Il s'agit là d'un phénomène qui recèle encore bien des mystères si l'on sait que, sur le plan de l'évolution, le fossé qui sépare de tels micro-organismes est comparable à celui qui règne entre le monde végétal et animal."

    Principe de fonctionnement de la barrière anti-méthane océanique
    Principe de fonctionnement de la barrière anti-méthane océanique
    Des associations spécifiques de bactéries et d'archéobactéries "consomment" la majorité du méthane océanique grâce aux sulfates apportés par les eaux marines.
    © D'après MPI-Bremen

    Le cas singulier des cages à méthane
    Si le mécanisme de cette barrière anti-méthane d'origine microbiologique peut-être compris comme l'élément-clé du cycle du carbone océanique – sans lequel la dérégulation climatique de la géosphère planétaire serait absolue –, une interrogation importante subsiste sur les 10% de gaz produits en permanence qui échappent à ce processus. Or, on a découvert que, sous une forme très répandue dans les fonds marins, le méthane non dégradé était retenu, à haute pression et à basse température, dans d'étranges composés nommés "hydrates de méthane". Ces derniers sont des structures en forme de cristaux, dont l’aspect rappelle beaucoup la glace, où les molécules de méthane sont piégées dans des sortes de "cages" faites de molécules d’eau. Ces structures piégeantes sont communément appelées des "clathrates".

    L’océan mondial contiendrait ainsi d’énormes stocks de ces hydrates de méthane, principalement sur les marges continentales, autrement dit sur les talus qui s’enfoncent vers les profondeurs depuis les continents. Même si les chiffres sont sujets à beaucoup d'incertitudes, il y en aurait environ 1 200 milliards de tonnes, plus ou moins mélangés aux sédiments où ils forment des filons et des inclusions.

    La sécurité en question
    Un vaste débat porte sur la "sécurité de détention" que l'on peut accorder à ces cages, qui inspire des craintes. Premièrement, parce qu'elles agissent comme de véritables "concentrateurs" de méthane : un volume de clathrates libère quelque 170 volumes de gaz naturel lorsqu’il se dissocie. Ensuite parce que l'idée d'une telle dissociation est physiquement possible dès que les conditions de température et de pression nécessaires à l'existence stable de ces composés ne sont plus remplies.

    On prend donc au sérieux deux hypothèses de risque, l'une "climatique" (provoquant une hausse de la température du fond océanique), l'autre "mécanique" (une brusque perturbation des conditions de pression). Dans les deux cas, le danger réside dans un dégazage massif de méthane libéré par les clathrates.

    L'hypothèse mécanique se rapporte essentiellement à l'apparition d'instabilités dans les couches de sédiment déposées sur des talus sous-marins inclinés, qui pourraient déclencher de vastes coulées de matières. Lors de tels glissements, les clathrates présents dans la masse ou dans l'environnement peuvent se dissocier, sous le choc, en provoquant le dégazage du méthane qu'ils stockent.

    Il n’est pas exclu que le réchauffement actuel de l’océan puisse provoquer de tels épisodes. Cette éventualité a fait l’objet de deux programmes de recherche européens (Costa et Hydratech), qui se sont particulièrement intéressés aux marges continentales septentrionales de la Norvège et de la mer de Barents, et aux techniques permettant de détecter des hydrates de méthane à distance. Les données recueillies actuellement semblent montrer que ces concentrations d’hydrates sont situées à des profondeurs importantes, ce qui les met relativement à l'abri des phénomènes de talus.

    Dans une moindre mesure, ce risque "mécanique" lié aux clathrates peut également être induit par les activités humaines : l’exploitation d’hydrocarbures en offshore, en échauffant notamment les fonds marins, pourrait provoquer de dangereuses déstabilisations accompagnées d’émissions de méthane. Ce danger est bien connu des compagnies pétrolières qui, de ce fait, s’intéressent, voire participent, à ces projets.

    Echantillons d'hydrates de méthane ou clathrates
    Echantillons d'hydrates de méthane ou clathrates
    Ces cristaux, semblables à de la glace, sont des cages de détention de méthane. En se dissociant les clathrates "dégazent', ce qui peut s'observer en faisant flamber le méthane qui s'échappe (photos du projet européen Anaximander).
    © GEOMAR, Kiel (DE)

    L'hypothèse du fusil à clathrates
    Quant au risque d'une élévation des températures du fond océanique susceptible de provoquer la dissociation des clathrates, il est à craindre sur une très longue période. Les océans réagissent lentement au réchauffement atmosphérique. Les archives climatiques indiquent néanmoins qu’il y a eu, historiquement, des couplages souvent prononcés entre les périodes de réchauffement du globe et la quantité de méthane dans l’atmosphère. Il faut également prendre en compte les causes continentales d'une augmentation des émissions de méthane, telles que l'expansion des zones marécageuses et la fonte du permafrost des hautes latitudes.

    Une autre théorie a été avancée pour expliquer ce couplage : il s’agit de l’hypothèse du "fusil à clathrates" (clathrate gun hypothesis), formulée en 2002 par l’américain James Kennett, professeur à l’université de Santa Barbara. Selon lui, les hydrates de méthane s’accumuleraient pendant les périodes glaciaires (chargement du fusil) puis seraient dissociés dès les prémices du réchauffement, entraînant une ample libération de méthane (le fusil fait feu), qui, dans un mouvement de rétroaction, accélèrerait en retour la hausse des températures. De l’aveu même de son auteur, cette idée n’est qu’une piste de travail, d’autant qu’on ignore encore à quelle vitesse les clathrates s’accumulent et combien il en existe. Cette hypothèse souligne néanmoins que le méthane océanique – à l’échelle géologique – constitue très probablement une pièce maîtresse du cycle du carbone et qu’à ce titre son importance climatique est certaine. Il est donc urgent d’en savoir plus sur les conditions de formation, de dissociation, et sur le stock global de clathrates.


    Mis en ligne le 20/04/2008 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pratclif.com