Le Monde 9 décembre 2009

Les climato-sceptiques s'invitent à Copenhague

Dès l'ouverture du sommet, les Saoudiens mettent en cause les avis scientifiques A l'origine du débat : les courriels piratés qui ont enflammé la blogosphère

La question n'a pas été éludée. L'ouverture de la conférence de Copenhague, au Danemark, qui doit trouver un successeur au protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre, a vu le " Climategate " s'inviter dans les discussions et semer la discorde. Le chef de la délégation saoudienne a déclaré, lundi 7 décembre, que " le niveau de confiance " dans les travaux des climatologues était " affecté ". Il a demandé l'ouverture d'une " enquête internationale et indépendante " sur l'affaire de ce millier de courriels privés échangés entre quelques climatologues, piratés et diffusés sur Internet depuis fin novembre. L'affaire alimente une activité considérable sur Internet, les blogueurs " climato-sceptiques " assurant voir dans certains éléments de cette correspondance privée les preuves d'une conspiration des climatologues pour faire accroire la réalité du réchauffement.

Jean-Pascal van Ypersele, vice-président du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), a déclaré que la réaction saoudienne " n'est pas une surprise ". " Chacun anticipait ici que l'Arabie saoudite et les pays pétroliers se serviraient de cet argument ", a-t-il dit. Citant l'Agence internationale de l'énergie (AIE), M. van Ypersele a rappelé que ceux-ci pourraient perdre 4 000 milliards de dollars de revenus d'ici à 2030 en cas d'accord ambitieux à Copenhague. Paradoxe de la situation, ce sont les Etats-Unis, deuxième émetteur mondial et détenteur de l'un des plus gros stocks de charbon au monde, qui, par la voix du porte-parole de Barack Obama, ont rappelé que les allégations jetant le discrédit sur le diagnostic scientifique étaient " un peu imbéciles ".

Lettres volées

A qui profite le " crime " ? Qui a eu intérêt à pirater le serveur informatique d'un centre de recherche britannique sur le climat pour y subtiliser treize années de correspondance privée ? Qui est capable de sélectionner en quelques jours, dans cette masse d'informations souvent techniques, les extraits qui feraient mouche et laisseraient à penser qu'une poignée de climatologues ont " truqué " leurs données pour faire valoir la thèse du réchauffement climatique ? Pourquoi les éléments de ces courriels qui montraient sous un jour peu favorable certains climato-sceptiques ont-elles rapidement disparu de cette sélection ?

Pourquoi, enfin, les pirates ont-ils diffusé la correspondance via des adresses-relais domiciliées en Arabie saoudite et en Russie, deux pays grands exportateurs d'hydrocarbures ? Et pourquoi cette affaire éclate-t-elle juste avant le sommet de Copenhague sur le climat, où la communauté internationale est censée trouver un accord visant à limiter son appétit pour les énergies fossiles ?

Depuis que la blogosphère s'est emparée de ce qui est devenu le " Climategate ", ces questions essentielles sont rarement posées sur les forums et les blogs. D'une théorie du complot à l'autre, la tentation est grande de renvoyer dos à dos deux visions conspirationnistes. D'un côté, des climatologues, constitués en secte du " réchauffisme ", repliés sur leurs courbes et leurs données, qu'ils trafiqueraient à l'occasion. Certains courriels, habilement sortis de leur contexte, pourraient le faire accroire. Ils révèlent à tout le moins une communauté en état de siège, peu désireuse de partager ses données.

Dans l'autre camp, les climato-sceptiques font flèche de tout bois. S'ils ont désormais pour ultime moyen de conviction le pillage de correspondance, il faut s'interroger sur leur crédit véritable. N'est-ce pas en premier lieu sur le terrain scientifique qu'ils devraient faire leurs preuves ? La pose façon Galilée est trop commode : c'est face à l'Eglise que celui-ci se débattait, et non devant ses pairs.

Les lettres volées peuvent faire perdre toute clairvoyance aux meilleurs esprits, comme l'a bien conté Edgar Poe. La paranoïa qui semble être le mode d'expression d'une partie de la blogosphère ne peut faire oublier l'essentiel : si une dose de scepticisme est indispensable à la science, une masse considérable de travaux pointe la responsabilité humaine dans le réchauffement en cours. Alors qu'un sommet historique s'ouvre pour tenter de l'enrayer, il importe de le garder à l'esprit.

Le " Climategate " sème la discorde à Copenhague

L'affaire des courriels piratés de climatologues britanniques suscite les premières passes d'armes de la conférence

Le piratage informatique de la correspondance privée de quelques climatologues de renom parviendra-t-il à faire capoter les négociations de Copenhague ? La question se pose depuis que le " Climategate " a été, lundi 7 décembre en conférence plénière, brandi par Mohammed Al-Sabban, le chef de la délégation saoudienne. " Le niveau de confiance est affecté ", a-t-il ainsi déclaré, faisant référence aux travaux des climatologues, synthétisé par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC). M. Al-Sabban a en outre demandé la tenue d'" une enquête internationale et indépendante " sur cette affaire.

Celle-ci " prouve que certains sont prêts à verser dans l'illégalité, peut-être pour discréditer le GIEC, a de son côté rétorqué son président, l'Indien Rajendra Pachauri, en ouverture de la conférence climat. Mais notre panel dispose d'un historique d'évaluations transparentes et objectives sur plus de vingt et un ans, établies par des dizaines de milliers de scientifiques de tous les coins de la planète. "

L'affaire enflamme littéralement la blogosphère depuis fin novembre. Quelques semaines avant l'ouverture des négociations de Copenhague, un ou des pirates informatiques pénètrent dans les serveurs de l'unité de recherche climatique (CRU) de l'université d'East Anglia (Royaume-Uni). Ils y récupèrent frauduleusement de nombreux documents ainsi que les archives de treize années d'échanges de courriels entre les scientifiques du CRU et leurs collègues américains et européens ; une soigneuse sélection d'un millier de ces messages environ est exposée sur le Net le 19 novembre.

Les messages exposés suggèrent que certains climatologues ont tenté d'entraver la publication de travaux " climato-sceptiques " qu'ils jugeaient indigents. De même, cette correspondance met au jour la volonté d'un scientifique de ne pas partager certaines données brutes avec le reste de la communauté scientifique. Pour la blogosphère " climato-sceptique ", certains messages montrent en outre que leurs auteurs manipulent leurs résultats.

Un unique message, remontant à 1999, pouvait être interprété comme une tentative de corruption de données. Dans celui-ci, Phil Jones, directeur du CRU, explique avoir eu recours à une " astuce " pour " masquer le déclin de températures ". Sortie de son contexte, la phrase peut faire entendre que la température moyenne terrestre établie par le CRU a été artificiellement rehaussée. M. Jones a expliqué avoir utilisé le terme " astuce " dans un contexte familier pour corriger une divergence, bien documentée entre l'épaisseur de cernes d'arbres et les températures à en déduire...

Documents dérobés

Pour autant, M. Jones s'est mis temporairement en retrait de ses fonctions pendant la durée d'une enquête indépendante, qui doit rendre ses conclusions au printemps. Sans attendre celles-ci, la revue britannique Nature, l'une des plus vénérables institutions scientifiques, qui a publié les travaux de certains climato-sceptiques, consacrait à l'affaire son éditorial du 3 décembre.

" Les négateurs ", ironise la revue, qui reprend cette terminologie à son compte pour la première fois, pensent détenir la preuve " que les climatologues du courant dominant ont systématiquement conspiré pour supprimer les éléments contredisant leur doctrine selon laquelle les hommes réchauffent la planète ". " Cette interprétation paranoïaque serait risible si des politiciens obstructionnistes du Sénat des Etats-Unis n'allaient probablement l'utiliser l'an prochain pour étayer leur opposition à la nécessaire loi sur le climat ", poursuit Nature.

L'enquête lancée par la police britannique ne portera sans doute pas ses fruits avant l'issue des négociations, mais de premiers éléments techniques sur le piratage, à prendre avec précaution, sont d'ores et déjà dans le domaine public. Une intrusion dans les serveurs de l'université d'East Anglia a sans doute eu lieu le 12 novembre - les documents dérobés les plus récents étant datés de ce jour.

Le 17 novembre au matin, les fichiers volés étaient frauduleusement mis en ligne sur le blog RealClimate, tenu par un groupe de climatologues proche des scientifiques du CRU. Selon le climatologue Gavin Schmidt (Goddard Institute for Space Studies), qui administre le site, l'adresse IP (Internet Protocol) de la machine ayant déposé le fichier sur RealClimate.org est enregistrée en Turquie.

Un peu plus tard, un internaute poste un message sur " Climate Audit ", célèbre blog " climato-sceptique ", annonçant qu'" un miracle a eu lieu " et publiant un lien pointant vers les fichiers discrètement déposés quelques heures auparavant sur " RealClimate "... Selon Stephen McIntyre, qui édite " Climate Audit ", l'internaute ayant posté le message en question opérait depuis une machine installée à Nijni-Novgorod, en Russie...

Ce n'est pas tout. Lorsque Gavin Schmidt remarque que des fichiers ont été frauduleusement déposés sur son site, il les en ôte. Deux jours plus tard, c'est un lien déposé sur un autre blog " climato-sceptique " posté depuis une adresse IP cette fois enregistrée en Arabie saoudite et pointant vers les mêmes fichiers, stockés cette fois-ci sur un serveur basé en Russie. Selon le Mail on Sunday, ce serveur se trouverait à Tomsk, en Sibérie occidentale. " Cela ne donne pas la localisation des pirates, explique M. Schmidt. Ils ont apparemment utilisé des "proxies ouverts" - ordinateurs pouvant servir de relais - basés dans ces pays pour masquer leur véritable localisation. "

Reste désormais à savoir si les autorités de deux pays gros exportateurs d'hydrocarbures, la Russie et l'Arabie saoudite, collaboreront de bonne grâce à l'enquête britannique en cours pour remonter vers les commanditaires du piratage...

Stéphane Foucart

Des vélos aux éoliennes, la capitale du Danemark soigne son image de " ville verte "

La rotation des éoliennes au large de Copenhague et le ballet des vélos dans les rues sont là pour le prouver : la 15e Conférence des Nations unies sur le climat ne pouvait trouver théâtre plus favorable au développement durable. Telle est du moins l'image que la municipalité sociale-démocrate et le gouvernement de droite du Danemark tentent de se composer, à grands renforts d'opérations de communication et de publicités.

" Nous avons décidé très tôt d'utiliser la conférence pour faire de Copenhague une marque verte, un atout dans la compétition entre métropoles ", reconnaît Klaus Bondam, adjoint au maire chargé de l'environnement. Symbole et slogan de cette étiquette écologique : la ville s'est engagée, en mars 2009, à devenir, en 2025, la première capitale du monde " neutre en carbone ". En clair, elle doit abaisser ses émissions annuelles de CO2 de 2,5 millions de tonnes à 1,15 million et compenser le reste par des investissements verts.

Copenhague ne part pas de rien. La cité de la Petite Sirène a déjà réduit ses émissions de CO2 de 20 % ces dix dernières années. 37 % des habitants vont travailler ou étudier chaque jour à bicyclette - on compte 560 000 vélos pour 519 000 habitants ! -, près de 15 % de l'électricité est produite par des éoliennes et 98 % des immeubles sont connectés à un efficace réseau de chauffage urbain. Résultat : " Un habitant de Copenhague émet moins de 5 tonnes de CO2 par an, contre 10 tonnes pour un Danois moyen, 20 tonnes pour un Américain ", se félicite M. Bondam.

Pour atteindre son médiatique objectif, la ville vise d'abord une réduction supplémentaire des rejets de CO2 de 20 % d'ici à 2015. Comment ? En portant la part des cyclistes à 50 %, en améliorant l'isolation des bâtiments, en développant l'offre de transports en commun... mais surtout en faisant massivement passer sa production d'énergie du côté des sources renouvelables, alors que 73 % de l'électricité de la ville est aujourd'hui produite par du charbon, du gaz naturel ou du pétrole.

Aussitôt dit, aussitôt fait ? Pas si simple. Les compagnies énergétiques ne semblent pas pressées d'amorcer le virage souhaité. Et le plan de la majorité sociale-démocrate est pris pour cible par ses alliés de l'Alliance rouge-verte, troisième force politique de la ville. " Des éléments comme le recyclage, pour lequel nous sommes très mauvais, sont oubliés ", explique Morten Kabell, conseiller municipal et porte-parole de l'Alliance rouge-verte pour l'environnement et l'urbanisme.

Mais le vrai point de friction, ce sont les transports : " Chaque jour, 250 000 voitures transitent par le centre-ville. La municipalité veut creuser un tunnel de 10 kilomètres sous le port, un projet à 3 milliards d'euros, qui va accroître le trafic automobile de 15 %. Pour le même prix, on pourrait réaliser toutes les lignes de métro et de tramway qui dorment dans les cartons et baisser le nombre de voitures de 20 %. On ne fera pas les deux, il faut choisir. "

Virginité écologique

Compte tenu de ces débats, les festivités climatiques déployées par la mairie sur la place de l'Hôtel- de-Ville, grâce au sponsoring de compagnies d'énergie et de Coca Cola, font grincer bien des dents chez les écologistes. Pas autant toutefois que les habits neufs du gouvernement danois, ouvertement accusé par Greenpeace ou l'Alliance rouge-verte de s'acheter à bon prix une virginité écologique en organisant la conférence de l'ONU.

" En matière d'énergies renouvelables, il ne se passe plus rien depuis que la coalition des conservateurs et des libéraux est arrivée au pouvoir en 2001 ", assure Tarjai Haaland, de Greenpeace.

Le pays comptait, fin 2008, 5 104 turbines éoliennes pour une puissance totale de 3 163 mégawatts. Mais entre 2004 et 2008, 104 nouvelles éoliennes seulement ont été implantées, pour 394 turbines anciennes démantelées... Pire, le gouvernement danois a autorisé la compagnie Dong Energy, en juin 2008, à faire repasser au charbon certaines centrales à biomasse.

Les centrales à charbon fournissent 59 % de l'électricité du pays et le Danemark figure au 15e rang mondial pour la consommation de charbon par habitant. Un charbon importé en totalité, pour 8 à 10 millions de tonnes chaque année.

Grégoire Allix

Matti Pekkanen, petit soldat de l'armée de Greenpeace

Gens de Copenhague. Les visages, vieillis de dix ans, de Barack Obama, de Nicolas Sarkozy et de huit autres dirigeants s'excusant, en 2020, de ne pas avoir stoppé le changement climatique. C'est par ces affiches de politique-fiction que Greenpeace accueille, à l'aéroport de Copenhague, les participants à la conférence des Nations unies sur le climat. L'organisation écologiste a mobilisé pas moins de 500 volontaires dans la capitale danoise pour préparer ses actions et faire pression sur les négociateurs.

Parmi les premiers arrivés, le Finlandais Matti Pekkanen a fait partie, à 21 ans, de l'avant-garde envoyée pour préparer l'arrivée des troupes, puis encadrer leur travail. " Chaque jour, des chefs de campagne décident des messages et des actions, puis les coordinateurs répartissent les tâches ", explique ce jeune homme à l'allure posée.

Militant de Greenpeace depuis un an et demi, cet élève ingénieur à l'université d'Helsinki, écologiste convaincu, végétarien " pour préserver les ressources de la planète ", n'aurait pour rien au monde manqué le rendez-vous de Copenhague. " C'est un moment historique, une occasion unique de changer le cours des choses : quand nous serons vieux, nous pourrons raconter que nous étions là ", dit-il. Matti a suivi le parcours classique du bénévole - distribution de tracts, formations, réunions... - avant de prendre part à des actions en Finlande et dans les autres pays scandinaves. " Si les responsables voient que vous savez garder votre sang-froid, ils vous proposent de devenir activiste ", raconte-t-il. C'est dans un entrepôt portuaire au confort spartiate - un hangar peuplé de lits de camp militaires en guise de dortoir - que Matti va vivre et travailler jusqu'au 18 décembre. Sans regret pour ses amphis : " Les cours peuvent attendre. La conférence, elle, ne se présentera qu'une fois. " .

Le premier vaisseau pour " touristes " présenté au public

Le milliardaire britannique Richard Branson a dévoilé, lundi 7 décembre, dans le désert californien de Mojave, la navette spatiale SpaceShipTwo dans laquelle il espère transporter, sous la bannière de sa société Virgin Galactic, les premiers " touristes " de l'espace. La navette et son vaisseau-mère, Le Chevalier blanc, dont la forme évoque deux avions à réaction joints par une aile commune, représentent " le futur du transport humain ", a-t-il affirmé. Les gouverneurs de Californie, Arnold Schwarzenegger, et du Nouveau-Mexique, Bill Richardson, ont arrosé au champagne le nez de la navette en carbone composite devant des centaines de journalistes et une quarantaine de futurs passagers.

Lesquels ont déboursé 200 000 dollars chacun pour la promesse d'un voyage, prévu au plus tôt en 2011. " Nous voulons que ce programme marque un début dans l'ère commerciale des voyages spatiaux ", a déclaré M. Branson, en assurant que personne ne s'installerait à l'une des huit places du vaisseau avant que celui-ci n'ait effectué de nombreux vols d'essai. Dans l'espace, les passagers pourront se lever de leur siège, regarder leur planète à travers de vastes hublots, et expérimenter l'apesanteur. L'appareil est conçu pour revenir lentement sur Terre, afin d'éviter la surchauffe lors du retour dans l'atmosphère.

Plusieurs centaines de clients seraient déjà candidats au départ. Pour cette future activité de loisirs, le Nouveau-Mexique construit actuellement, à Upham, un " aéroport spatial " doté d'une piste de plus de 3 km de long, dont les installations devraient être achevées à la fin 2010. - (AFP.) (PHOTO : DAVID MCNEW/AFP.)

Un réseau d'éoliennes offshore va être développé dans la région " des mers du Nord "

Neuf pays de l'Union européenne ont signé, lundi 7 décembre à Bruxelles, en marge d'une réunion des ministres de l'énergie, une déclaration commune visant à développer un vaste réseau d'éoliennes offshore dans la région " des mers du Nord ". Proclamée par la Belgique, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l'Allemagne, le Luxembourg, la France, le Royaume-Uni et l'Irlande, cette coopération a pour objet de permettre à l'UE de tenir son engagement législatif d'inclure 20 % d'énergies renouvelables dans sa consommation énergétique totale d'ici à 2020, un des volets-clés de son plan climat. Les secteurs énergétiques des neuf pays vont concevoir ensemble un plan de travail pour relier la trentaine de parcs éoliens des différentes mers du Nord. Les premiers raccordements devraient intervenir à partir de 2015. - (AFP.)

A Nantes, les hérissons travaillent pour la biodiversité

Des lampes torches et des jumelles de vision nocturne : voici résumé l'attirail des chercheurs de hérisson. Des enseignants et des étudiants de l'Ecole nationale vétérinaire de Nantes mènent actuellement, à la demande de la ville, une étude consacrée au comportement et aux déplacements de ce mammifère dans deux quartiers où sont programmées des opérations d'urbanisation importantes.

" L'objectif de cette étude, c'est de déterminer les grands corridors biologiques existant dans ces secteurs résidentiels, plutôt verts, avant de lancer tout nouveau chantier, explique Olivier Lambert, biologiste. Et ce, dans un souci de préserver la biodiversité dans la ville. Sitôt que l'on découvre la présence de faune sauvage dans un espace, on peut en effet conclure que le milieu naturel est sain, offrant gîte, protection et nourriture. Qui se plaindrait de vivre dans un tel environnement ? "

Le hérisson s'est aisément imposé comme sujet d'observation. " Il nous fallait une espèce qui ne se déplace pas trop vite et qui ne s'affranchisse pas d'obstacles facilement, note Olivier Lambert. Un immeuble, une chauve-souris est capable de passer au-dessus. Le hérisson non. " Autre avantage du hérisson : " C'est une espèce parapluie, qui se situe en haut de la chaîne alimentaire. Protéger cette espèce revient à en protéger de nombreuses autres. Qui plus est, le hérisson est un animal qui jouit d'une bonne image auprès du public, ce qui facilite nos démarches puisque nous avons lancé un appel à la population pour nous signaler tout hérisson qui serait aperçu dans un jardin public ou même privé. "

Marquage des bêtes

Pour l'heure, les chercheurs ont effectué six sorties nocturnes. Cinq hérissons différents ont été trouvés. Pas besoin de ramper ou de sonder arbustes et taillis : les spécimens ont été repérés sur des pelouses d'immeubles entourées de haies. Les scientifiques relèvent le sexe, le poids et les mensurations des animaux et prennent soin de les identifier à l'aide de gaines électriques de couleur collées sur leurs piquants.

Au terme de leur mission, les chercheurs voudraient avoir croisé le chemin d'environ soixante bêtes. " Chaque animal est systématiquement reposé à l'endroit exact où il a été repéré, précise Marianne Verry, l'une des étudiantes en charge de ce projet. L'idéal serait de capturer six ou sept fois les hérissons marqués, dans différents endroits, afin de pouvoir déterminer leur parcours le plus précisément possible. "

Promu " espèce sentinelle ", l'omnivore aux quelque 7 000 piquants jouera également, le cas échéant, le rôle d'indicateur de la présence de polluants dans la nature. Les hérissons retrouvés morts feront l'objet d'analyses toxicologiques. " On recherchera systématiquement d'éventuelles traces d'herbicides ou d'insecticides dans l'organisme et on tentera d'évaluer le niveau de toxicité de ces polluants. "

L'Ecole nationale vétérinaire rendra sa copie en septembre 2010. Des mesures permettant de préserver les corridors biologiques, voire d'en ajouter, seront alors définies. En cas de conflit d'intérêts entre projet urbain et autoroute des hérissons ? " On réfléchira à des aménagements ", assure Ronan Dantec, adjoint au maire de la ville à l'environnement, qui ne manque pas de rappeler l'existence d'" un intérêt commun entre le hérisson et le piéton urbain ".

Preuve que Nantes regorge encore d'écosystèmes diversifiés, les scientifiques de l'Ecole nationale vétérinaire notent avec satisfaction le retour dans la ville du faucon-pèlerin. La présence de renards est également régulièrement observée à proximité de la faculté de sciences, ainsi que celle de hérons cendrés juste devant la préfecture de région.

Yan Gauchard (Nantes, correspondant)

Les " indigènes " de Camargue

Culture du riz en Camargue, en 1942. 20000 Indochinois arrivés en France avant l'invasion allemande ont été réquisitionnés par Vichy. PHAM VAN NHÂN

A 90 ans, Le Ba Dang voudrait ne penser qu'à l'avenir. A ses prochains voyages, à ses futurs tableaux, et surtout à ce terrain qu'il s'apprête à transformer en une gigantesque oeuvre d'art près de Hué, au coeur du Vietnam, où un musée rend hommage à son travail de peintre et de sculpteur. Jeudi 10 décembre, pourtant, il consentira pour une fois à se replonger dans son passé. L'occasion ? La médaille que lui remettra Hervé Schiavetti, le maire (PCF) d'Arles (Bouches-du-Rhône), lors d'une cérémonie d'hommage aux Indochinois qui, comme lui, sont venus travailler en Camargue pendant la seconde guerre mondiale. " Une mauvaise période ", dit ce vieil homme à la vitalité débordante, qui s'est tu pendant soixante ans. " C'était trop dur. Je voulais oublier. "

L'histoire de Le Ba Dang ressemble à des milliers d'autres. Fils de paysans annamites, il n'a pas 20 ans quand il apprend, fin 1939, que la métropole recrute des " indigènes " pour participer à l'effort de guerre. " Je ne savais pas ce que j'allais faire. Mais j'étais curieux. On entendait tellement parler de la France, vous savez... "

C'est en mars 1940, après cinq semaines éprouvantes passées dans les cales d'un paquebot, que le Ba Dang débarque à Marseille. De là, il part à Saint-Nazaire, où les chantiers navals manquent de bras. Mais c'est bientôt la défaite, et le jeune homme est fait prisonnier par les Allemands. Il s'évadera au bout de dix-huit mois, franchira la ligne de démarcation et regagnera Marseille. Avec une seule idée : trouver un bateau pour, dit-il, " rentrer à la maison ".

L'histoire, toutefois, en décidera autrement. Car le régime de Vichy, entre-temps, a renoncé à rapatrier les quelque 20 000 " ouvriers non spécialisés " (ONS) venus d'Indochine fin 1939-début 1940. Parqués dans des camps, ceux-ci dépendent dorénavant du ministère du travail, où un service est spécialement chargé de la " main-d'oeuvre indigène " (MOI). Aujourd'hui, Le Ba Dang ne sait plus précisément comment il est entré en contact avec les hommes de la MOI. Mais il se souvient très bien de ce commandant " très gentil " qui lui proposa un jour de partir en Camargue pour y planter du riz.

" C'était épuisant "

" On était une vingtaine de types, raconte Le Ba Dang. On nous a emmenés près d'Arles, dans une petite cabane misérable. Là, on a commencé par couper des arbres pour fabriquer des lits. Puis on a planté du riz. Au-dessus de nous, il y avait un Corse. Il n'était pas méchant, mais il ne faisait rien. Pendant ce temps-là, nous, on travaillait. Mais c'était épuisant. Je suis parti au bout de trois mois. " Après mille péripéties, le jeune homme finira par se poser à Toulouse, où il suivra des cours du soir à l'école des Beaux-Arts, de 1943 à 1948, avant de faire sa vie à Paris, où il possède aujourd'hui un bel atelier, à deux pas de Montparnasse.

Au total, environ 500 Indochinois ont travaillé dans les rizières camarguaises pendant la guerre. Leur contribution fut décisive pour relancer une culture qui avait été introduite pour la première fois de façon sérieuse au milieu du XIXe siècle, avant de péricliter. " Dans les années 1930, le riz en Camargue était cultivé pour dessaler des terres qui servaient à autre chose. D'ailleurs, à cette époque, on le donnait aux animaux, le riz que nous consommions venant d'Indochine ou de Madagascar. Avec la guerre, les importations ont baissé, et on a commencé à avoir faim. C'est comme ça qu'on a relancé la production à des fins purement alimentaires ", explique Yves Schmitt, un riziculteur à la retraite dont le père était alors le régisseur du mas de Méjanes, l'un des grands domaines de la région.

Né en 1933, M. Schmitt se souvient bien des Indochinois, qu'il côtoya quand il était gamin. " C'était des gens très discrets, qui restaient entre eux pour faire leur tambouille. Comme ils ne parlaient pas français, on avait l'impression qu'ils venaient d'une autre planète. La rumeur disait qu'ils volaient la nuit dans les potagers. Mais ça n'a jamais été prouvé. "

Près de 1 000 autres Indochinois ont travaillé en Camargue pendant la guerre, avec pour tâche d'exploiter le sel. Ce fut le cas de Trong Nguyen Hoan. Né au sud d' Hanoï en 1915 et arrivé à Marseille en mai 1940, cet homme, aujourd'hui un pétulant vieillard de 94 ans, a d'abord été affecté dans les poudreries de Saint-Chamas, près de l'étang de Berre, où l'armistice l'a vite mis au chômage technique. Après divers petits boulots - " on m'a même fait construire un terrain de tennis ! ", lâche-t-il en éclatant de rire -, il est envoyé à Salin-de-Giraud, sur un site appartenant alors à l'entreprise Pechiney. " J'encadrais une compagnie d'environ 250 hommes. Comme je parlais un peu français, je servais d'intermédiaire entre eux et les contremaîtres. "

Trong Nguyen Hoan, qui vit aujourd'hui en banlieue parisienne, après une longue carrière d'ouvrier chez Citroën, garde un exécrable souvenir des " baraques sans eau et sans chauffage " où ses camarades et lui étaient entassés. Et surtout de leurs indemnités de misère - moins de 10 % du salaire d'un ouvrier français. Pour résumer sa vie de l'époque, le vieil homme n'a qu'une formule : " Nous étions comme des bêtes. "

Thomas Wieder

" Je jette aux deux bras du Rhône rancoeurs et rancunes "

UNE DIZAINE d'anciens travailleurs indochinois sont attendus à la mairie d'Arles, jeudi 10 décembre, où ils recevront la médaille de la ville. " Comme les Espagnols ou les Italiens, les Indochinois ont participé activement au développement du riz et du sel de Camargue. Il est normal de le reconnaître ", explique le maire (PCF), Hervé Schiavetti.

Cette " reconnaissance " tardive, que devrait prolonger l'inauguration d'une rue ou d'une place, est une première. L'initiative est venue de Pierre Daum, un journaliste de 43 ans, qui a retracé l'histoire de ces 20 000 " indigènes ", dont seul un millier s'est installé en métropole dans Immigrés de force. Les travailleurs indochinois en France, 1939-1952, chez Actes Sud (" Le Monde des livres " du 7 juillet).

" Aucun de ceux que j'ai rencontrés n'a l'once d'une aigreur vis-à-vis de la France, explique M. Daum. La seule fois où ils ont réclamé quelque chose, c'était dans les années 1980. Certains d'entre eux ont alors demandé que leurs années de travail soient prises en compte dans le calcul de leur retraite. Mais ils n'ont rien obtenu. "

M. Daum a une pensée particulière pour Le Huu Tho, l'un des 25 témoins interviewés pour son livre. " C'est lui qui, dès notre première rencontre en 2005, m'a convaincu que s'il fallait faire quelque chose, c'était d'abord à Arles en raison du caractère exceptionnel du riz de Camargue, qui reste un élément aujourd'hui encore fondamental dans la culture de cette région. "

Auteur d'un des rares livres de souvenirs sur le sujet (Itinéraire d'un petit mandarin, L'Harmattan, 1997), Le Huu Tho est mort le 8 septembre, à 89 ans. Il avait déjà rédigé le discours qu'il voulait prononcer le 10 décembre. Il avait notamment prévu de dire ceci : " Aujourd'hui (...), je jette aux deux bras du Rhône rancoeurs et rancunes (...), totalement heureux de voir réaliser enfin mon rêve au soir de ma vie. "

T. W.

Colons radicaux

Burin (sud de Naplouse) Envoyé spécial

C'est un village encaissé dans un vallon, cerné d'oliviers qui atteignent presque le sommet des deux collines. Il se dégage du paysage une impression de quiétude, mais Akram Ibrahim Imran n'a vraiment pas le coeur en paix : d'un geste las, il montre les arbres déracinés ou sauvagement coupés. Les oliviers, c'est toute la vie de ce paysan palestinien de 42 ans, sa survie économique et celle des treize membres de sa famille.

Akram ne sait plus bien si c'est son arrière-grand-père ou le père de celui-ci qui a planté ses oliviers. Tout ce qu'il sait, c'est que certains ont bien plus de cent ans. Son regard se porte vers la crête des collines. Au nord, en direction de Naplouse, on distingue les premières maisons de la colonie de Bracha et, sur un mamelon proche, des caravanes : c'est l'avant-poste de Har Bracha.

Vers le sud, les habitations de la colonie de Yitzhar ne sont pas visibles, mais elles sont situées à moins de deux kilomètres. Bracha et Yitzhar ont la réputation d'être des colonies juives " dures ", extrémistes. Les faits remontent au 12 novembre. Le lendemain matin, Akram n'a pu que constater le résultat du saccage nocturne : 81 oliviers avaient été vandalisés par les colons. Ce n'était pas leur première descente dans les champs d'Akram.

En mai, un feu avait détruit trente-huit arbres, et il y avait eu des précédents. Akram a appelé la police, sans illusions. Le DCO, le coordinateur de l'armée, est venu, avec trois policiers et deux Jeep militaires. Ils ont soigneusement compté les arbres gisant au sol ou coupés à mi-tronc à la scie, ont enregistré la plainte d'Akram, et même promis de lui envoyer un compte rendu, ce qu'ils n'ont pas fait. " Ni la police ni l'armée ne font rien, parce qu'ils collaborent avec les colons ", estime Akram.

Comme lui, ils sont des centaines de cultivateurs palestiniens en Cisjordanie à supporter les conséquences d'une cohabitation difficile avec les colons juifs. Ceux-ci exercent la pratique dite du " price tag " (le prix à payer), une sorte de mesure de représailles exercée sur les Palestiniens à la suite des actions menées par l'armée contre les implantations juives illégales.

Parfois il n'y a pas de lien de cause à effet, simplement une politique de prise de possession de la terre : vandaliser les oliviers (ailleurs les amandiers et les citronniers) ou les voler, c'est une manière de forcer les Palestiniens à quitter les lieux. Ceux qui cultivent les oliviers sont parmi les plus pauvres de la société palestinienne. Lorsqu'une terre est de facto abandonnée pendant plusieurs années, elle devient " terre d'Etat ", et souvent les colons s'y installent.

Une saison catastrophique

Les champs d'Akram et le village de Burin sont situés de part et d'autre de la route 60. Lorsque des colons, souvent armés, sont visibles, les quelque quatre mille villageois n'osent franchir la route pour aller dans les oliveraies. Cette année, la saison des olives, qui s'est achevée le mois dernier, a été catastrophique. La récolte n'a représenté qu'un dixième de celle d'une bonne année.

Le manque de pluie est le premier responsable, mais souvent l'armée limite l'accès des paysans à leur terre, lorsque celle-ci est proche de colonies. Elle attribue des permis aux paysans pour se rendre dans leurs champs, lesquels doivent " coordonner " leurs activités avec les autorités locales. Yesh Din, une organisation non gouvernementale israélienne de défense des droits de l'homme, vient de publier un bilan des cas de vandalisme commis dans les champs d'oliviers.

Elle en a dénombré vingt-sept depuis le début de l'année. Depuis 2005, soixante-neuf plaintes en justice ont été déposées pour la destruction de plus de trois mille arbres, mais aucune d'entre elles n'a abouti à la moindre inculpation. Lorsque la police et l'armée arrivent sur les lieux, les coupables se sont évanouis depuis longtemps. La plupart des dossiers sont refermés avec la mention " manque de preuves ", ou " coupable inconnu ".

En prévision de la saison des olives, l'armée israélienne a cependant pris des mesures pour protéger les fermiers, notamment en envoyant des forces de police dans les zones les plus sensibles. Mais celles-ci sont en nombre insuffisant, et Yesh Din soupçonne l'armée et la police de ne pas faire preuve de beaucoup de zèle pour aller chercher les coupables dans les colonies.

" Les colons ne sont jamais pris sur le fait, remarque Ruthie Kedar, l'une des responsables de Yesh Din, si personne n'est jamais pris, cela veut dire quelque chose, non ? " " Les gens comme Akram, souligne-t-elle, n'abandonneront pas. Nous alertons la presse, la police, les tribunaux, et cela aide les paysans à tenir. Ils voient en outre que tous les Israéliens ne sont pas comme les colons, et c'est une bonne chose. "

Il faut dix ans pour qu'un olivier produise ses premiers fruits, et dix ans pour que les olives réapparaissent sur les branches d'un arbre tronçonné. Mais Akram Ibrahim Imran a presque l'éternité pour lui : " Cette terre est celle de mes ancêtres ", insiste-t-il.

Laurent Zecchini

Le patronat est " prêt à des concessions " sur les salaires des routiers

La Fédération nationale des transports routiers (FNTR, patronat) s'est dite prête à " des concessions sur les salaires ", a indiqué, mardi 8 décembre, son délégué général, Jean-Paul Deneuville. La FNTR s'exprimait quelques heures avant l'ouverture des discussions orchestrées par le ministre des transports, Dominique Bussereau, entre un médiateur (nommé lundi) et les dirigeants de cinq syndicats de salariés (CFDT, FO, CGT, CFE-CGC, CFTC) pour tenter de résoudre le conflit amorcé par les chauffeurs. Ils menacent de faire grève à partir de la mi-décembre.

Dacia lance un véhicule 4×4

La filiale roumaine de Renault a décidé de s'attaquer au marché du 4×4 en proposant le Dacia Duster. Cette voiture vise les classes sociales moyennes des pays émergents pour lesquels un 4×4 est symbole de réussite. Fabriqué dans l'usine de Pitesti (Roumanie), il sera lancé au printemps 2010 en Europe, en Turquie et au Maghreb. A partir du mois de juin, il arrivera également, sous la marque Renault, en Ukraine, au Moyen-Orient et dans certains pays d'Afrique. Puis, en 2011, il sera distribué en Russie, au Brésil et dans les pays du Golfe.

Ces poubelles qui regorgent de victuailles

Pain, yaourts, légumes sont jetés chaque jour par les magasins. De plus en plus de Français les récupèrent

Son pain, Monique (le nom a été changé) ne l'achète pas chez le boulanger. Tous les soirs, elle le prend dans la poubelle d'une grande chaîne de magasins bio, dans le 12e arrondissement à Paris. Monique, la cinquantaine, n'est pas dans le besoin. Comme d'autres habitants du quartier, elle a simplement repéré que l'enseigne jetait tous les jours quantité de produits alimentaires : pains donc, mais aussi yaourts, sushis ou salades libanaises, comme le reporter du Monde l'a constaté.

La plupart de ces produits sont mis à la poubelle le jour de leur date de péremption et certains avec quelques jours d'avance. " C'est un scandale qu'ils jettent des produits alimentaires. Ils devraient faire des réductions quand la date d'expiration approche, commente Monique. Mais au moins, les clochards du quartier peuvent venir se servir car j'ai déjà vu dans certaines grandes surfaces, en banlieue, qu'ils mettaient de l'essence ou de la javel sur les poubelles pour que personne ne puisse se servir. "

Il n'a pas échappé à la gérante du magasin que " beaucoup de monde vient se servir dans la poubelle ". Elle explique qu'elle jette " un peu de tout ", mais qu'elle " donne aux associations quand il y a de grandes quantités de produits invendus ".

Sur le parking de ce supermarché de l'Essonne, c'est le matin que l'on vient faire les poubelles. Tous les jours, un peu avant 9 heures, plusieurs personnes repartent avec des cagettes de salades, des bottes de poireaux et du poisson qu'elles mettent dans le coffre de leur voiture. Le personnel de l'établissement tolère manifestement cette " ramasse " discrète, qui semble le fait de personnes modestes. L'une d'elles explique furtivement qu'elle est retraitée d'un métier social, qu'elle vient ici parce qu'elle trouverait " dommage de gâcher autant de nourriture " et qu'elle a " reçu des lettres anonymes " lui reprochant de faire les poubelles.

" Avec la crise, de plus en plus de gens font du glanage sur les marchés ou dans les grandes surfaces ", constate Gérald Briant, adjoint communiste au maire du 18e arrondissement de Paris. Et pour cause : les poubelles des petites supérettes de centre-ville regorgent souvent de victuailles. Les boulangeries, aussi, jettent le soir le pain qu'elles n'ont pas vendu. " Pendant des années, j'ai essayé de le donner, mais je n'ai pas trouvé d'associations qui se déplacent pour d'aussi petites quantités ", raconte Jacques Mabille, président de la chambre professionnelle des artisans boulangers pâtissiers de Paris, qui a longtemps exercé dans le 19e arrondissement.

" Les fast-foods aussi jettent beaucoup : des quantités de tomates tranchées, de fromage, de pain de mie ", constate Pierrick Goujon, qui, près de Rennes, tente de vivre exclusivement du contenu des poubelles. " Mais je ne fais plus celles des restaurants car elles mélangent les cendres des cigarette à la bouffe ", précise-t-il. Ce jeune homme de 27 ans se proclame " déchétarien " ou " freegan ", terme né aux Etats-Unis de la contraction entre free (" gratuit ") et vegan, l'un des courants végétariens, qui entend dénoncer le gaspillage et la surconsommation. Il a créé en 2006 le site Freegan.fr sur lequel les " glaneurs " décrivent le contenu de leurs " récoltes ".

" C'est fou ce que les magasins jettent : s'il y a un oignon pourri dans un sac, ils jettent le sac, pareil pour les oranges ou les pommes, car ça leur coûterait trop cher de trier. S'il y a un yaourt explosé dans un pack, ils jettent le pack et même les autres qui ont étésalis, alors moi je ramasse, raconte Pierrick, qui assure distribuer ses prises aux SDF ou à ses amis. L'autre jour j'ai trouvé 100 litres de bière, je les ai rapportés dans ma camionnette, nous avons eu de quoi boire pendant plusieurs mois. "

Il préfère les petits supermarchés de centre-ville aux grandes surfaces de périphérie " qui sont équipées de compacteuses ", destinées à broyer les aliments pour gagner de la place. Pierrick regrette que certains gérants essaient d'interdire la " ramasse " : " Ils demandent au personnel de percer les emballages avec un couteau et d'asperger les aliments d'eau de javel. Moi, ça ne m'arrête pas, je ramasse quand même et je rince après. " Le " freeganiste " précise qu'il " trouve aussi des aliments dont la date limite de consommationn'est pas dépassée ". Il arrive en effet que les magasins s'en débarrassent à l'avance, de peur d'avoir une contravention le jour venu.

A l'heure où les Restaurants du coeur et autres soupes populaires battent leur plein, pourquoi les grandes surfaces jettent-elles et dans quelle proportion ? Impossible de le savoir. Sollicités par Le Monde, Auchan, Casino, Franprix et Monoprix n'ont pas répondu. Leclerc évoque seulement ses dons. " Malheureusement, nous n'avons pas ces éléments en notre possession ", indique Carrefour avant de préciser : " En ce qui concerne les déchets alimentaires, il est interdit de transporter de la marchandise périmée, aussi les produits alimentaires sont détruits sur place par des produits chimiques. "

" Les entreprises détruisent leurs aliments car elles craignent que des personnes s'intoxiquent en les consommant et que leur image de marque puisse en pâtir ", justifie la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution.

La grande distribution est aussi secrète sur ses déchets que bavarde sur ses dons aux associations caritatives : 960 tonnes plus le financement de véhicules frigorifiques en 2008 pour Carrefour, par exemple. La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution assure que ses adhérents fournissent 29 % des produits collectés par les banques alimentaires. Ces dernières confirment qu'elles ont reçu 23 050 tonnes de nourriture, soit l'équivalent de 46 millions de repas, en 2008. Claude Frégeac, chargé des dons en nature à la Croix-Rouge, assure que " le gâchis a été minimisé depuis une quinzaine d'années grâce aux dons de la grande distribution aux associations caritatives ". Mais il se demande " quelle proportion représente ce qui est donné par rapport à ce qui est jeté ".

Stéphane Mandard et Rafaële Rivais

La limite des dates de consommation

AU MAGASIN Bio Génération, situé dans le 12e arrondissement à Paris, les prix des produits alimentaires sont réduits à mesure qu'ils approchent de leur date limite de consommation (DLC) : - 10 % deux jours avant, - 20 % la veille, - 40 % le jour même. Une stratégie commerciale qui permet d'éviter de trop jeter, mais qui reste cantonnée à quelques enseignes. Elle pose aussi la question des dates limites de consommation. Les industriels se donnent une marge de sécurité de quelques jours, lorsqu'ils étiquettent la DLC, indique le ministère de l'agriculture. " Dans le secteur de la charcuterie, lorsque le produit a une date limite de conservation inférieure à dix jours, ils se donnent un jour. Un produit qui doit être consommé le 9 du mois sera étiqueté à consommer avant le 8 ", note l'Association nationale des industries alimentaires. " Il est possible de distinguer les aliments à risque minime pour lesquels dépasser la DLC de quelques jours n'est pas préjudiciable (yaourt), de ceux à haut risque (charcuterie, fromage au lait cru...) pour lesquels il existe un réel danger ", précise l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.

R. Rs