Polémique Claude Allègre : les réponses de «Libération»

Par Sylvestre HUET
LIBERATION.FR : dimanche 29 octobre 2006
«Libération» répond point par point au texte de l'ancien ministre de la recherche publié dans «Le Monde» du 26 octobre 2006 et dans lequel il tente de justifier son analyse sur le climat, selon laquelle il doute que le gaz carbonique est le principal responsable du changement climatique.

«Le Monde» a récemment publié un long texte de Claude Allègre où l'ancien ministre de la recherche tente une nouvelle fois de se justifier de ses propos sur le climat. Ci dessous, une analyse de ce texte - intégralement reproduit – et les réponses de «Libération». Les réponses de Libération aux propos de Claude Allègre apparaissent en gras.

A-t-on le droit d'émettre des doutes sur une théorie scientifique "officielle", estampillée par les médias et les politiques ?

Libération. Qui a dénié à Claude Allègre le droit d'émettre un quelconque doute sur quoi que ce soit ? Personne. Ce sont les arguments qu'il avance pour le justifier qui sont vertement critiqués. Qualifier une théorie scientifique d'«officielle» parce qu'elle serait avalisée par les média et les politiques est pour le moins étrange. Claude Allègre sait très bien que ce ne sont ni les uns ni les autres qui décident du destin et du statut d'une théorie scientifique, mais le travail des scientifiques eux-mêmes qui vont, en la confrontant au réel par des expériences ou des observations la réfuter, la valider, ou limiter son domaine de validité en l'incorporant dans une théorie plus large.

A partir des années 1980, un groupe de scientifiques a défendu l'idée que l'augmentation de la teneur en gaz carbonique dans l'atmosphère allait conduire à un réchauffement généralisé du climat de la Terre, à partir d'un mécanisme physique bien connu, l'effet de serre. C'est-à-dire l'absorption par certaines molécules, dont le CO2, mais aussi l'eau et le méthane, des rayons infrarouges émis par la Terre chauffée par le Soleil.

Libération. Cette affirmation est complètement inexacte. C'est dès 1896 que le scientifique suédois Svante Arrhénius a déduit du mécanisme physique de l'effet de serre que la combusion massive de carbone fossile, le seul charbon à son époque, allait augmenter la teneur en gaz carbonique de l'air et augmenter sa température. Mais cette affirmation est restée qualitative jusqu'à la fin des années 1980, faute de références aux relations passées entre climat global et teneur en gaz à effet de serre et faute de moyens de modélisation et de calcul informatique permettant de simuler un climat sous effet de serre renforcé.

Ce groupe de scientifiques s'est organisé à l'échelon international sous l'égide des Nations unies pour rédiger des rapports officiels et promouvoir la recherche en climatologie. Sous-jacente à cette démarche, l'idée que l'homme est coupable et que nous courons à la catastrophe planétaire. Aujourd'hui, la climatologie est devenue une science à la mode, et ses budgets de recherche ont été multipliés par des facteurs importants (sans doute presque 10 aux Etats-Unis). Du point de vue médiatique et politique, cette théorie est devenue pour certains une certitude, une vérité incontestable. L'idée de réunir des experts pour connaître l'état de la science et permettre ensuite aux politiques de décider paraît logique. Malheureusement, lorsqu'on se trouve dans un domaine où la science est en pleine évolution, où les découvertes se succèdent, où rien n'est simple, les interprétations sont variées, et variables. La "vérité" scientifique - si tant est que cette expression ait un sens - ne s'établit que petit à petit, disons après une génération. La science est un processus de démocratie différée ! Or, aujourd'hui, on assiste à la mise en place d'un consensus s'appliquant à tout, à tous, et tout de suite ! Tous les quatre ans, un premier panel international de scientifiques réalise un premier rapport. Celui-ci est transmis à un second panel composé de représentants des gouvernements (certains sont scientifiques, d'autres non) qui établit le consensus sur un scénario. Le premier rapport, très volumineux, contient des points de vue assez nuancés, mais il n'est guère lu. C'est le second rapport, plus court, plus politique, plus affirmatif, qui devient de fait la vérité officielle. On imagine les effets de la même procédure appliquée aux OGM ou aux cellules souches ! Cette manière de faire ressemble à celle qui eut lieu autrefois dans certains régimes et qu'on ne veut pas revoir dans le monde libre. L'épisode actuel n'est qu'une petite manifestation de cette pratique de dictature intellectuelle.

Libération. La présentation que fait Claude Allègre du fonctionnement du GIEC - groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat - et du contenu de ses rapports est tout simplement indigne. Parler de «dictature intellectuelle» et suggérer que son fonctionnement s'inspire de dictatures politiques et policières n'est pas seulement faux, mais également méprisable. Mis en place en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale et l'ONU, il a rédigé trois rapports d'ensemble publiés en 1990, 1995 et 2001, ainsi que des rapports sectoriels. Ces rapports généraux, comme le GIEC lui même, sont répartis en trois volets : le volet 1, qui porte sur les sciences du climat; le volet 2 qui porte sur les conséquences du changement climatique; le volet 3 qui porte sur les politiques à mener pour atténuer ce changement et s'y adapter. Le prochain rapport sera publié en 2007. Claude Allègre, comme membre de l'Académie des Sciences, peut avoir accès aux textes en cours d'écriture et participer à leur rédaction en proposant des amendements s'il le souhaite. A ma connaissance, il ne le fait pas. Les rapports du GIEC suivent des règles précises : ils ne sont qu'une synthèse exclusivement fondée sur des travaux scientifiques antérieurement publiés dans des revues à comité de lecture. Chacune de ses affirmations doit s'appuyer sur ces articles. Les groupes de travail comportent plusieurs milliers de scientifiques si l'on tient compte de tous ceux qui relisent les textes et donnent leur avis. Les textes produits n'effacent aucune incertitude ni désaccords entre résutats de recherche. Si les volets 2 et 3 intègrent des données de sciences humaines et sociales (économie, démographie, prospective technologiques...) dont chacun connait les limites, le volet 1 ne le fait que sur un point, les scénarios d'émissions de gaz à effet de serre. Comme ces scénarios utilisent une très large fourchette d'hypothèses, il y a très peu de risques que le futur réel se situe ailleurs. Il est tout à fait exact qu'entre le long texte des rapports, plusieurs milliers de pages, et le bref «résumé pour décideurs», de 37 pages pour celui de 2001, qui est voté par une assemblée des représentants de leurs pays nommés par les gouvernements, se produit une réduction drastique en volume. Pour autant, il suffit de consulter celui de 2001 pour y voir listées les principales «incertitudes clés», par opposition aux «conclusions robustes». Parmi les dites incertitudes clés, on peut lire : «ampleur et caractère de la variabilité naturelle du climat», «forçages climatiques dus aux facteurs naturels et aux aérosols anthropiques», «liens entre tendances régionales et les changements climatiques anthropiques». Présenter ce texte comme «un consensus de tous sur tout et tout de suite», comme le fait Claude Allègre est donc un mensonge factuel qui ne résiste pas à la simple lecture du texte (lisible en français et téléchargeable ici. Il n'est pas ininteressant de savoir que les représentants du gouvernement américain ont plusieurs fois demandé que le GIEC renonce à ce texte de synthèse. Les autres membres ont refusé, en considérant que ces textes brefs, dont les formulations sont très prudentes, sont nécessaires au débat public. Un exemple suffit à démontrer cette prudence. A la question de savoir si le réchauffement se traduira par une augmentation de l'intensité des tempêtes aux latitudes moyennes (comme celles de noel 1999 en France), le rapport 2001 répond franchement : «(il y a) peu d'accord entre les modèles actuels» et considère qu'il n'y a pas de réponse fiable à la question. Il est piquant de rappeler que Claude Allègre, alors ministre, n'avait lui aucun doute sur le sujet et avait attribué cette tempête de 1999 au réchauffement de la planète, à l'inverse des météorologues et climatologues (Libération du 30/12/1999, article de Christophe Forcari).

On nous dit que 99 % des scientifiques sont d'accord ! C'est faux. Quatre-vingts scientifiques canadiens, dont beaucoup de spécialistes du climat, ont écrit au premier ministre pour le mettre en garde contre le prétendu consensus. En France, des scientifiques et ingénieurs m'écrivent pour dire que, mettant en doute la vérité officielle, ils ont été empêchés de s'exprimer. Enfin, l'article publié dans le Wall Street Journal du 12 avril, "Climat de peur", écrit par l'un des plus grands météorologues mondiaux, professeur au MIT, Richard Lindzen, raconte comment des scientifiques de talent ont perdu leur poste pour avoir contesté la vérité officielle, et comment d'autres ont perdu leurs moyens de recherche. Il ne parle pas de la campagne de calomnie que l'on a orchestrée pour le salir, l'accusant d'être à la solde des compagnies pétrolières, ce qui est infâme !

Libération. Claude Allègre ne peut citer aucun exemple d'une véritable censure, c'est à dire le refus de publier dans une revue scientifique un résultat de recherche ou une analyse de données qui serait fondé sur l'interdit et non sur la qualité du travail. Allègre n'a jamais été victime d'une telle censure puisqu'il n'a jamais travaillé sur le sujet. Tous les exemples qu'il prend dans la suite du texte (rôle du Soleil, des rayons cosmiques, des nuages, des aérosols... ) ont tous donné lieu à des articles publiés dans des revues à comité de lecture. Où est, alors, «l'empêchement de s'exprimer ?» dans la communauté scientifique. La revue La Rercherche vient de publier une interview d'un chercheur proche de Claude Allègre (IPG, Paris) qui défend l'idée que les variations d'intensité du champ magnétique pourraient avoir un rôle climatique. Où est la censure ? L'exemple américain est une véritable ironie : c'est bien aux USA qu'un employé du Président a tenté, de la Maison Blanche, d'empêcher la Nasa de mettre sur l'un de ses sites web la mention du travail d'un climatologue, James Hansen, sous prétexte que ses résultats (la simple mesure des températures sur la Terre) n'était pas en phase avec le discours de Georges Bush. Heureusement, cette tentative s'est piteusement terminée par un communiqué du patron de la Nasa qui rappelait que son agence n'allait pas se plier à de telles exigences.

Heureusement, en France, on n'en est pas encore là ! Alors pourquoi ces réactions violentes face à mes doutes et mes questions ? Ces mêmes attaques que la médecine développait contre le chimiste Pasteur, ou que les géologues développaient contre le climatologue Wegener ! La raison de tout ce tintamarre est la peur. Car plus les recherches climatologiques avancent, plus la vérité officielle apparaît fragile. L'eau est le principal agent de l'effet de serre, 80 fois plus abondant que le CO2 dans l'atmosphère, or on arrive difficilement à modéliser le cycle de l'eau, notamment parce qu'il est difficile de modéliser les nuages, de déterminer la proportion de cirrus (qui contribuent à réchauffer) et celle de stratus (qui refroidissent). Le rôle des poussières naturelles, industrielles et agricoles est également mal compris, notamment dans la nucléation des nuages. De la même façon, on constate que les teneurs en composés soufrés dans l'atmosphère ont décru depuis trente ans, mais on connaît mal leur rôle, alors qu'ils sont des agents potentiels de refroidissement. Il apparaît aussi que le rôle du Soleil a été sous-estimé. Sans parler des effets possibles du rayonnement cosmique galactique, comme viennent de le proposer, avec expériences à l'appui, des scientifiques danois. Mon collègue Le Treut lui-même soulignait dans son discours devant les cinq Académies (Le Monde du 25 octobre) combien les modèles étaient entachés d'incertitudes. Ce qui est positif dans tout cela, c'est que l'Académie des sciences va organiser un débat contradictoire sur le sujet. Pour la première fois, il sera possible de comparer les opinions des uns et des autres. Ce débat entre scientifiques, et devant les autres membres de l'Académie, permettra dans la sérénité d'établir non pas la vérité, mais l'état des lieux. Ensuite, publication à l'appui, chacun pourra juger.

Libération. Le «collègue Le Treut» est outré des propos de Claude Allègre. Et son texte publié par Le Monde, un modèle de prudence et de sincérité. En voici un extrait significatif qui contredit complètement le propos de Claude Allègre: Si la perspective d'un changement climatique global résultant de l'augmentation des gaz à effet de serre constitue désormais un risque dont la réalité est très largement reconnue, c'est parce que la communauté scientifique s'est organisée, depuis plusieurs décennies, pour développer un diagnostic de plus en plus étayé, puis le répercuter très largement, au niveau du grand public ou des décideurs. Cette phase d'alerte pose encore des problèmes difficiles. Comment traduire de manière suffisamment forte et audible un sentiment d'urgence face à l'évolution de notre environnement global - partagé par la plupart des scientifiques -, tout en gardant un discours rigoureux, qui fasse la part des certitudes mais aussi des multiples incertitudes qui affectent toute tentative de prévision quantitative des changements à venir ? Comment traduire le consensus général de la communauté scientifique, en laissant néanmoins leur place aux différences de sensibilité, inévitables dès qu'il s'agit de déterminer l'importance pour nos sociétés des perturbations prévisibles ? Pour apporter une réponse partielle à ces questions, il est nécessaire de rappeler les points clés du dossier scientifique. L'atmosphère, les océans, les grands glaciers ou les banquises constituent des milieux complexes et fragiles, qui interagissent constamment au travers de processus mécaniques, physiques, chimiques ou biologiques, et déterminent ainsi ce que l'on appelle le système climatique. (...) Nous vivons depuis 10 000 ans dans des conditions interglaciaires, une situation d'une durée inhabituelle, dont la théorie astronomique rend compte et qui est appelée à se poursuivre encore quelques milliers d'années. C'est dans cette très longue période interglaciaire que se sont développées nos civilisations. (...) Cet interglaciaire très long, globalement très stable, a permis à l'environnement de la planète d'atteindre un état d'équilibre global très fin, caractérisé par exemple par une très grande constance de la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre : le niveau de dioxyde de carbone (ou CO2), par exemple, a constamment gardé une valeur proche de 280 parties par million (ou ppm). Depuis plus d'un siècle, c'est-à-dire depuis le début de l'ère industrielle, les activités humaines sont venues rompre de manière brutale cet équilibre. Le niveau de CO2 atmosphérique atteint désormais 370 ppm - une valeur jamais approchée tout au long du dernier million d'années, où les fluctuations du CO2, associées aux variations glaciaires-interglaciaires, se sont toujours inscrites dans une fourchette allant de 180 à 300 ppm. La plus grande part de ces variations a été acquise au cours des dernières décennies - une évolution dont la brutalité est sans équivalent à l'échelle du climat observé. Ce CO2 additionnel est injecté dans l'atmosphère par la combustion du pétrole, du charbon et du gaz - phénomène presque inexistant avant 1850 -, qui a atteint peu après 1950 le taux de 2 milliards de tonnes de carbone émises chaque année, pour dépasser maintenant les 6 milliards de tonnes par an.» Si l'Académie des sciences à décidé d'organiser un colloque sur le climat c'est parce que nombre d'académiciens ont été scandalisés par les propos tenus par Claude Allègre lors d'une de leurs réunions.

J'ai connu des combats semblables lorsque, avec quelques collègues, je défendais la théorie de la tectonique des plaques, en France, au début des années 1970, face à une communauté scientifique majoritairement hostile. Je fus calomnié, accusé par certains d'être un agent de la CIA chargé de propager une théorie américaine d'autant plus qu'en même temps j'incitais les Français à publier en anglais dans les revues internationales ! Plus tard, j'ai défendu le rôle indispensable des observatoires volcanologiques pour prévoir les éruptions, plutôt que le secours des "gourous". J'ai mené d'autres combats dans ma spécialité, souvent seul ou presque, critiqué un jour, honoré dix ans après. J'ai donc une certaine habitude de lutter contre les majorités et de m'opposer aux "consensus", et je sais qu'historiquement la science n'a fait de grand progrès qu'à travers de grands débats. Je sais aussi que je peux avoir tort, et je n'aurai dans ce cas aucune peine à changer d'avis, mais je suis sûr que le doute est par essence porteur de progrès.

Libération. Claude Allègre n'a évidemment pas que des défauts. C'est un grand scientifique dans son domaine, la géochimie, et il a mené de bons combats, comme la nécessité d'observatoires volcanologiques, et il s'est aussi lourdement trompé (sur le danger de l'amiante à Jussieu par exemple)... mais où est le rapport avec son discours confus, parfois carrément mensonger sur le climat ? (Lire l'analyse de sa chronique de l'Express http://www.liberation.fr/actualite/terre/208772.FR.php) NB: ce doc n'existe plus.

Mais que personne ne se méprenne, je ne suis nullement un défenseur du productivisme. Je sais que l'homme malmène la planète, je sais que l'eau est un problème, que le CO2 acidifie l'océan, que la biodiversité est menacée, qu'il faut modifier nos pratiques, économiser la planète, respecter la Nature. Je dis, simplement, ne nous trompons pas de combat et prenons les mesures appropriées. Je revendique haut et fort l'écologie réparatrice par opposition à l'écologie dénonciatrice. Pour pratiquer la première, il faut séparer les problèmes et les résoudre un à un. Comme on l'a fait pour le plomb dans l'atmosphère, les chlorofluorocarbones pour la couche d'ozone, les composés soufrés pour les pluies acides, etc. Dans l'écologie dénonciatrice, on mélange tout : le réchauffement climatique, la biodiversité, la pollution des villes, la population mondiale, l'assèchement de la mer d'Aral, etc. Avec comme résultat de susciter la peur... et de ne finalement rien résoudre, écrasé par l'immensité des défis.

Libération.L'écologie dénonciatrice est peut-être une pratique de mouvements écologistes. Mais Claude Allègre n'a pas à mélanger cette mouvance politique et idéologique avec sa mise en cause des conclusions de ses collègues climatologues sauf à encourir l'accusation d'amalgame malhonnète. D'autre part il commet une erreur majeure. Si certains problèmes peuvent être traités par des décisions isolées (les CFC ou le plomb dans l'essence) celui des émissions de gaz carbonique par l'usage du gaz, du charbon et du pétrole ne peut pas l'être puisqu'il s'agit de 80% de sources d'énergies actuelle. C'est donc l'ensemble du mode de vie, de production, de transport et d'habitat qui est concerné. L'ampleur du problème interdit de le prendre «un par un». En outre, il conteste sans le dire une des conclusions majeures de ses collègues climatologues, à savoir que le changement climatique rapide va aggraver toutes les autres difficultés, il n'y a donc aucune opposition entre les actions sur ces difficultés et l'action pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Je revendique le droit de dire que j'émets des doutes sur le fait que le gaz carbonique est le principal responsable du changement climatique. Horreur, au pays de Descartes, je revendique le droit au doute !

Libération . Revendiquer le droit au doute dans des termes aussi généraux est ridicule de la part du scientifique qu'il est. Claude Allègre ne revendique pas le droit au doute sur l'affirmation selon laquelle la Terre est plate. Remarque stupide ? Mais Claude Allègre, dans toute sa carrière scientifique, n'a jamais mis en doute les données nucléaires fournies par ses collègues physiciens et avec lesquels il a mené une brillante carrière de géochimiste et de reconstitution du très lointain passé de la Terre et de la Lune à partir d'une analyse des isotopes d'éléments chimiques. S'il avait douté de ces données, aucun de ses articles scientifiques sur le sujet n'aurait pu voir le jour. La question suivante est donc tout à fait centrale : pourquoi estime t-il pouvoir revendiquer le doute sur le rôle du gaz carbonique comme principal facteur du changement climatique en cours ? La question est tout à fait pertinente puisqu'il s'agit de savoir à quel moment une connaissance ou un ensemble de connaissances acquiert un statut tel que la bonne méthode n'est plus de la mettre en doute. Il suffit de revenir en 1976 pour avoir la réponse. A l'époque, il n'était pas possible de ne pas douter de l'affirmation «le gaz carbonique est le principal responsable du changement climatique». Pourquoi ? Etrange puisque l'on savait depuis un siècle que ce gaz à effet de serre joue un rôle climatique. Tout simplement parce que l'on ne pouvait pas, à l'époque, transformer cette idée générale, incontestable, en mesure de son rôle relativement aux autres facteurs d'évolution climatique (soleil, courants océaniques, éruptions volcaniques, nuages, aérosols...). Pour ce faire, il fallait connaître les relations passées entre climat et teneur en gaz à effet de serre de l'atmosphère et être capable de calculer l'effet climatique d'une variation de ces teneurs à l'avenir. Or, ces deux éléments sont maintenant disponibles avec une précision suffisante pour répondre à la question. Nous connaissons les teneurs en gaz carbonique de l'air depuis 800.000 ans, soit quatre ères glaciaires et autant de périodes chaudes. Et les modèles climatiques sur ordinateurs ont un réalisme suffisant pour savoir qu'un doublemement ou un triplement de cette teneur en cent ans doit piloter l'évolution du climat sur plusieurs siècles. Ces deux avancées scientifiques sont très récentes, elles se sont déroulées par étapes depuis 1987 seulement. Il pourrait donc sembler justifié d'en douter. Encore faut-il le faire de bonne foi, sur la base d'arguments scientifiques et sans nier les résultats obtenus par des méthodes normales par les climatologues. C'est justement ce que ne fait pas Claude Allègre. Quant au public, il peut constater que la conviction récente des scientifiques spécialistes du sujet selon laquelle le doute n'est plus de mise sur cette affirmation (lire Le Treut plus haut) s'est construite avec prudence, à l'aide d'un énorme travail de critique. Dans ces conditions, il devient raisonnable de leur faire confiance plutôt qu'à quelques individus qui semblent animés (vigoureusement) par des motivations énigmatiques et en tous cas très éloignées d'un débat scientifique

On trouvera aussi sur ce lien la réponse de Jean Marc Jancovici à l'article de Claude Allègre parue dans le Monde du 26 octobre 2006.


Mis en ligne le 25/06/2007 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://pierreratcliffe.blogspot.com et http://paysdefayence.blogspot.com