Rapport de la commission Pébereau
la France face à sa dette

chapitre 3. Le mode de financement des collectivités territoriales
peut réduire l’attention qu’elles portent
à l’efficacité de certaines dépenses

Les dépenses des collectivités territoriales ont connu depuis vingt-cinq ans une croissance très forte. Mais les informations nécessaires pour porter un jugement global sur l’efficacité de ce surcroît de dépenses ne sont pas disponibles au niveau national. C’est incontestablement un problème car les dépenses concernées représentent 20 % de la dépense publique. Aller à ce sous chapitre.

Le faible endettement de ces collectivités, qui est en soi satisfaisant, ne garantit pas la qualité de la gestion de la dépense car les transferts financiers considérables de l’État vers ces collectivités reportent au niveau national une part importante de leurs besoins de financement. Aller à ce sous chapitre.

a) Les dépenses des collectivités territoriales ont connu une croissance très forte sur laquelle il est impossible de porter un jugement

Entre 1980 et 2004, la part des dépenses des collectivités territoriales dans la production nationale est passée de 7,9 à 10,8 %, les dépenses ayant progressé en volume de 3,4 % par an, contre 2 % pour la production nationale. Une telle évolution est préoccupante. Sur les dix dernières années, l’augmentation des dépenses d’investissement des administrations publiques provient pour les deux tiers des collectivités territoriales ; pour les dépenses de fonctionnement, cette proportion est de 50 %. Une partie de cette augmentation était inévitable. En effet, depuis vingt-cinq ans, l’État a décentralisé une large partie de ses compétences, ce qui peut justifier une augmentation significative des dépenses locales. La croissance des investissements peut notamment s’expliquer par la nécessaire remise à niveau de certains équipements transférés, en particulier les collèges et les lycées. En outre, comme les entreprises, les collectivités territoriales supportent le coût des réglementations que l’État leur impose.

D’après une étude de la Direction générale du trésor et de la politique économique, les transferts de compétence de l’État vers les collectivités territoriales n’expliqueraient cependant que la moitié de l’augmentation de la part des dépenses locales dans la production nationale. L’accroissement des dépenses locales ne serait donc pas uniquement dû aux évolutions institutionnelles.

À compétences inchangées, les dépenses des collectivités territoriales seraient passées de 7,9 à 9,5 % du PIB, de 1980 à 2004, soit une augmentation de 2,8 % en volume par an.

Dépenses des collectivités territoriales (en % du PIB)

Pour apprécier l’efficacité de ce surcroît de dépenses publiques, il serait intéressant de connaître l’évolution des dépenses par nature (investissement, fonctionnement...) pour les compétences transférées par l’État, et pour les autres compétences.

Malheureusement, cette information n’existe pas. Il est donc impossible de porter un jugement sur l’augmentation des dépenses d’intervention (subventions, prestations sociales...) et des dépenses d’investissement (infrastructures de transport), qui a été très forte mais qui pourrait s’expliquer par les transferts, également très importants, de l’État vers les collectivités territoriales.

Les dépenses de fonctionnement expliquent 60 % de l’augmentation des dépenses des collectivités territoriales sur les dix dernières années. Les collectivités territoriales emploient aujourd’hui 1,5 million d’agents, soit 450 000 de plus qu’en 1982. En vingt ans, le nombre de fonctionnaires territoriaux pour 100 habitants a augmenté de près de 30 %. Pourtant, pendant cette période, les collectivités territoriales se sont largement informatisées, et leurs dépenses informatiques continuent à progresser très rapidement (+ 12,6 % par an en moyenne ces dernières années). Tout laisse donc penser que les problèmes de gestion relevés dans l’analyse des dépenses de fonctionnement de l’État pourraient se retrouver au niveau de nombreuses collectivités locales. De nombreux rapport de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes mettent au demeurant en évidence, ici ou là, des anomalies de gestion. La multiplication rapide du nombre de ronds-points en France dans la période récente constitue peut-être à cet égard un indice de l’absence de caractère systématique des études d’efficacité des investissements locaux.

Mais pour pouvoir porter un jugement sur l’ensemble de ces évolutions, il faudrait savoir si les compétences transférées depuis vingt ans justifient l’accroissement constant des dépenses de fonctionnement et notamment des effectifs.

Il serait également intéressant de connaître les économies de dépenses de fonctionnement que la décentralisation a permis de réaliser au niveau des services de l’État.

Or, ces informations n’existent pas à un niveau global. Il est probable que certaines des collectivités disposent des informations les concernant dans ce domaine. Mais aucune consolidation des informations individuelles n’est disponible. Ou si elle existe, la Commission n’en a pas eu connaissance.

Compte tenu de ce manque de données, la Commission ne peut que rester extrêmement prudente dans l’appréciation de l’augmentation des dépenses locales depuis vingt-cinq ans. Elle ne peut que regretter que s’agissant de collectivités représentant désormais 20 % de la dépense publique, il n’existe pas d’information réellement pertinente sur la productivité de leurs services administratifs ou sur l’efficacité de leurs dépenses d’investissement et d’intervention. Cette situation est d’autant plus fâcheuse que les chambres régionales des comptes mettent régulièrement en évidence des problèmes de gestion de collectivités territoriales. Il est difficilement explicable que l’État n’ait pas été plus loin dans l’analyse, alors même qu’il a mis en place un mode de financement qui permet aux collectivités territoriales de disposer, en large partie grâce à son budget, de ressources qui connaissent une croissance assez rapide.

b) Le faible endettement financier des collectivités territoriales ne garantit pas la qualité de la gestion de leurs dépenses.

En apparence, la situation financière des collectivités territoriales ne pose pas de problème. En effet, ces collectivités ont peu contribué à l’accroissement de la dette publique financière. Leur dette financière ne représente que 10,5 % de celle de l’ensemble des administrations publiques et elle a diminué en montant entre 1997 et 2002.

En outre, les collectivités territoriales sont liées par une règle budgétaire fondamentale vertueuse, qui ne s’applique pas à l’État : elles ne peuvent s’endetter que pour investir. Concrètement, cela signifie que leur endettement ne peut pas financer des dépenses de fonctionnement, mais doit permettre d’apporter aux Français les instruments d’un cadre de vie et de création de richesses pour le futur.

Sur le plan financier, les collectivités territoriales apparaissent donc en première analyse dans une situation très différente de celle de l’État pour trois raisons : le niveau de leur endettement est modéré ; elles ont été capables de réduire le montant de leur dette financière six années 88 Rompre avec la facilité de la dette publique de suite à partir de 1997 ; enfin, leur dette vise à financer des biens durables et non des dépenses de fonctionnement et de transfert.

Tout ceci pourrait donner à penser que leur gestion est globalement rigoureuse. Une telle conclusion serait cependant beaucoup trop rapide. Pour pouvoir analyser la qualité de la gestion financière des collectivités territoriales, il est nécessaire de connaître les spécificités du mode de financement mis en place par l’État.

Concrètement, les collectivités territoriales disposent de ressources s’élevant à environ 175 milliards d’euros en 2004. Celles-ci proviennent principalement de deux sources : les dotations de l’État et les impôts locaux, dont l’État assure une part croissante.

En effet, l’État verse directement aux collectivités territoriales un tiers de leurs ressources totales à travers des dotations, dont le montant atteint environ 60 milliards d’euros. Il prend également en charge, par l’intermédiaire de dégrèvements et d’exonérations, une part croissante des impôts locaux (35 % contre 22 % au milieu des années 1990). Au total, l’État assure aujourd’hui plus de la moitié des ressources des collectivités territoriales, contre environ 43 % au milieu des années 1990. Ces ressources venant de l’État sont utilisées par les collectivités territoriales principalement pour leur fonctionnement. L’État finance également une large partie de leurs investissements, par des subventions spécifiques (14 milliards d’euros en 2004), mais aussi par l’intermédiaire de la capacité d’autofinancement des collectivités territoriales. Les 75 milliards d’euros que l’État accorde aux collectivités territoriales pour leurs dépenses de fonctionnement contribuent en effet, pour une part qu’il est impossible de déterminer, à leurs 25 milliards d’euros de capacité d’autofinancement.

Du fait de ce mode de financement, les collectivités territoriales disposent de ressources importantes et en croissance assez rapide. En effet, l’État a garanti jusqu’à présent aux collectivités territoriales que leurs dotations évolueraient plus vite que l’inflation. Cet engagement lui a coûté près d’1,3 milliard d’euros pour les six dernières années.

Surtout, la prise en charge d’une part croissante de la fiscalité locale par le contribuable national permet aux collectivités de retrouver des marges de manoeuvre pour augmenter les impôts locaux. Ainsi, de 1997 à 2001, le taux de prélèvements obligatoires locaux est passé de 5,6 % de la production nationale à un peu moins de 5 %, en raison des réformes de fiscalité locale compensées par l’État. Cette baisse a permis aux collectivités territoriales de retrouver une plus grande capacité d’augmentation des impôts locaux depuis 2001, qu’elles ont utilisée depuis 2002.

Ce mode de financement, en facilitant l’accès des collectivités territoriales aux ressources, réduit probablement dans certains cas l’incitation à sélectionner les dépenses les plus efficaces.

Et le financement des collectivités territoriales reposant fortement sur l’État, le coût d’une éventuelle inefficacité de certaines dépenses locales (par exemple, de faibles gains de productivité ou des dépenses d’investissement peu utiles) est en fait supporté en partie par l’État. Et comme celui-ci s’endette pour financer ses dépenses, on peut aller jusqu’à dire que lorsqu’il y a des dépenses locales inefficaces, elles pèsent en partie sur l’endettement de l’État. Ce raisonnement illustre le caractère peu significatif de l’analyse par acteur de la dette publique. Dans le mode de financement actuel des collectivités territoriales, leur faible niveau d’endettement ne donne pas d’indication sur la maîtrise effective de leurs dépenses.


Mis en ligne le 25/11/2006 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr)