Rapport de la commission Pébereau la France face à sa dette
PRÉCONISATIONS

1. L’État doit renverser la tendance à l’augmentation de sa dette financière

a) Le retour à l’équilibre devrait être atteint en moins de cinq ans

Revenir à l’équilibre en cinq ans suppose de réaliser un effort plus important qu’aujourd’hui.


Préconisation no 1: Revenir à l’équilibre en cinq ans au maximum en stabilisant les dépenses en euros courants et en modulant l’intensité de l’effort en fonction de la conjoncture.

L’État s’est donné pour norme de stabiliser ses dépenses en euros constants. Cette norme constitue une avancée incontestable. Mais même si elle était appliquée strictement et si la croissance économique était chaque année de 2 %, elle ne permettrait de stopper l’augmentation du ratio d’endettement qu’au bout de quatre ans. Et il faudrait attendre huit ans pour atteindre l’équilibre et neuf ans pour seulement retrouver notre niveau d’endettement actuel.

Ces délais sont excessifs, parce que nous ne pouvons pas attendre encore neuf ans pour doter les pouvoirs publics des marges de manoeuvre nécessaires pour renforcer nos perspectives de croissance et de solidarité, alors que partout dans le monde, pays industrialisés et pays émergents accélèrent leur modernisation et renforcent leur potentiel de croissance. Il est indispensable d’accélérer le retour à l’équilibre et de rompre plus rapidement la dynamique d’endettement. L’objectif devrait être d’atteindre l’équilibre en cinq ans au plus tard, ce qui nous permettra de réduire notre endettement deux fois plus rapidement.


Préconisation no 2: Ne pas diminuer le niveau global des prélèvements obligatoires pendant la phase de retour à l’équilibre.

Le respect de ce calendrier passe nécessairement par l’adoption d’une norme plus rigoureuse de maîtrise des dépenses. L’objectif doit donc être de stabiliser les dépenses en euros courants. Dans le même temps, le niveau des prélèvements obligatoires ne devrait pas être modifié. Autrement dit, les baisses de dépenses seraient affectées en totalité au désendettement et non à une diminution des prélèvements. En particulier, les dépenses fiscales ne devraient pas être accrues. Cela n’interdit cependant pas de modifier la structure des prélèvements obligatoires pour les rendre plus efficaces. Une telle réforme serait au contraire souhaitable si elle permettait de renforcer nos perspectives de croissance, à condition qu’elle soit neutre pour le produit global des recettes publiques.

Si l’on applique cette norme et si la conjoncture économique est favorable (2 % de croissance chaque année en volume), le retour à l’équilibre sera atteint en quatre ans. Pendant toute cette période, le déficit de l’État ne devrait plus seulement être affiché en part de la production nationale, mais rapporté aux recettes de l’État 1 pour que les objectifs de gestion soient mieux compris par l’opinion publique. Autrement dit, l’objectif serait que le déficit de l’État, qui représentait en 2004 plus de 16 % de ses recettes, en représente encore 11 % la première année du retour à l’équilibre, puis 7 % la deuxième année et 2,5 % la troisième année.


Évolution de la dette financière et du déficit de l'État suivant la norme de dépenses

Cette présentation est très pédagogique. Elle n’exclut évidemment pas que l’on continue à présenter le déficit en part du PIB, du fait de nos engagements européens mais également compte tenu des limites d’une présentation du déficit qui se limiterait à la part dans les recettes. Celles-ci sont en effet particulièrement sensibles à la conjoncture. L'équilibre, entre les dépenses et les recettes sera atteint dans huit ans. Pour atteindre l’équilibre en cinq ans, il serait nécessaire de stabiliser les dépenses en euros courants. Cette stabilisation signifie que les dépenses resteraient stables en valeur mais diminueraient en euros constants, c’est-à-dire en volume, au rythme de l’inflation.

L’application de la norme actuelle ne permet de renverser la dynamique d’endettement de l’État qu’après quatre ans. La stabilisation des dépenses en euros courants en revanche permet d’infléchir la dynamique d’endettement au bout de seulement deux ans.

Méthode de projection : le point de départ a été placé en 2004 en raison du caractère encore provisoire des données de finances publiques pour 2005. Ces projections reposent sur des hypothèses prudentes. Le taux de croissance resterait relativement stable ces dix prochaines années, autour de 2 % en volume. De même, l’inflation se maintiendrait à 2%. Les recettes évolueraient sur toute la période au même rythme que la croissance. Une fois l’équilibre budgétaire atteint, celui-ci serait maintenu.

Mais durant cette période, l’économie française peut connaître une croissance moins forte au moins une année. Dans ce cas, l’objectif de retour à l’équilibre en cinq ans devrait être maintenu, mais l’intensité de l’effort devrait être modulée. Concrètement, l’objectif de dépenses ne devrait pas être modifié, mais les pouvoirs publics pourraient accepter une diminution transitoire des recettes.

En cas de ralentissement, les pouvoirs publics devraient en tout état de cause rendre rapidement les mesures qu’ils jugeraient nécessaires pour préserver l’objectif d’un retour à l’équilibre dans les cinq ans, dans le cadre du budget annuel voire le cas échéant d’un rendez-vous exceptionnel consacré spécifiquement aux finances publiques.

Le graphique suivant met en évidence qu’en cas de ralentissement marqué, l’effort peut être modulé sans pour autant remettre en cause l’objectif de retour à l’équilibre en cinq ans. Ainsi si le taux de croissance n’était pas chaque année de 2 % mais connaissant un ralentissement sensible trois années de suite (1,5 % puis 1 % puis à nouveau 1,5) avant de rejoindre la croissance moyenne de 2 %, et que l’inflation diminuait pendant la phase de ralentissement, il serait néanmoins possible d’atteindre l’équilibre en près de cinq ans tout en diminuant transitoirement les recettes (1) pendant les trois années de ralentissement.
(1) Au-delà des effets mécaniques sur les recettes de la moindre croissance (stabilisateurs automatiques), les recettes sont également, dans ce scénario, diminuées de manière discrétionnaire d’un peu moins de 1 point de PIB en moyenne pendant les trois années.


Réalisation de l'objectif d'équilibre de l’État en cas de choc économique.


Préconisation no 3: Affecter intégralement les recettes exceptionnelles au désendettement, sous réserve des dotations du FRR.

Durant cette période de retour à l’équilibre, les recettes exceptionnelles devraient être systématiquement recherchées : ouverture du capital d’entreprises publiques et plus généralement cessions d’actifs publics non stratégiques. Elles devraient être affectées en totalité au désendettement, sous réserve des dotations du fonds de réserve des retraites (FRR).

La Commission estime en effet qu’il est important de continuer à doter ce fonds, même si son rôle devra être précisé en 2008 (cf. infra). L’enjeu est important puisque le potentiel de cession d’actifs financiers mobilisable peut être estimé à 100 milliards d’euros environ. Ceci pourrait accélérer le désendettement mais ne devrait en aucun cas limiter l’effort sur les dépenses.

Et, si en cours d’année, les recettes constatées étaient supérieures aux prévisions de la loi de finances initiale, ce surplus de recettes devrait également être affecté en totalité au désendettement (1).
(1) Depuis 2005, la LOLF impose que chaque loi de finances précise comment d’éventuels surplus de recettes seront utilisés. Dans le projet de loi de finances 2006, il est ainsi prévu que les surplus de recettes, hors TIPP, seront affectés à la réduction du déficit.

L’effort demandé à l’État n’est pas incompatible avec la croissance.

Pour justifier de ne pas remettre en cause l’augmentation régulière de la dette depuis vingt-cinq ans, deux arguments sont généralement avancés : d’une part, l’effort serait irréaliste ; d’autre part, il aurait un impact négatif sur la croissance économique et contribuerait à augmenter le niveau du chômage.

Ces deux arguments méritent d’être examinés, parce qu’ils justifient depuis de nombreuses années de ne pas remettre en ordre les finances publiques et contribuent à la croissance de la dette. Il convient de souligner en premier lieu que l’effort demandé à l’État est important mais qu’il est tout à fait réaliste. Cet effort correspond à une réduction du niveau global de ses dépenses d’environ 25 milliards d’euros en cinq ans (euros 2003), soit 6,3 % de ses dépenses actuelles et 1,3 point de PIB. Ce montant ne doit cependant pas être considéré dans l’absolu. Il doit être en effet comparé aux marges d’amélioration de la gestion et aux économies pouvant être rapidement dégagées en sélectionnant mieux les dépenses.

En outre, et contrairement aux idées reçues, le budget de l’État n’est pas à ce point rigide qu’il serait impossible de réduire les dépenses à hauteur de 25 milliards d’euros dans les cinq prochaines années. Seuls 30 % du budget sont totalement incompressibles à court terme (charges de la dette et retraites des fonctionnaires).

Comme le montre le tableau suivant, l’effort demandé à l’État français n’est pas disproportionné au regard des réductions de dépenses qu’ont été capables de réaliser dans des délais très courts certains États européens. La Finlande et la Suède ont en effet diminué la part de leurs dépenses publiques dans le PIB en cinq ans de 11,3 et 12,2 points de PIB.


Réduction des dépenses publiques en Finlande et en Suède (% PIB)

En second lieu, l’effort demandé à l’État n’est pas incompatible avec la croissance de l’économie française.

Rappelons qu’à long terme, il est au contraire l’une des conditions de cette croissance. Mais la critique porte en général sur l’effet à court terme de la réduction des dépenses publiques sur la croissance. D’un point de vue macro-économique, il est incontestable que la réduction des dépenses publiques a, toutes choses égales par ailleurs, un impact négatif à court terme sur la croissance économique. Mais ce constat ne suffit pas pour conclure que l’effort de retour à l’équilibre en cinq ans est dangereux. Trois éléments doivent en effet être pris en compte. D’une part, cet impact négatif à court terme est toujours mis en avant sans que le coût, croissant, de l’inaction soit évoqué et encore moins évalué. Le coût économique d’une réduction des dépenses doit pourtant être mis en regard du coût qu’aurait la poursuite de la dynamique d’endettement dans les années futures (risque d’augmentation du coût de financement de l’ensemble des agents économiques, nervosité croissante des prêteurs...).

D’autre part, cet impact négatif peut être limité si les ménages et les entreprises interprètent l’annonce d’un retour rapide de l’État à l’équilibre budgétaire comme une perspective d’amélioration de leurs richesses futures (plus fortes capacités de croissance, baisses de prélèvements envisageables à terme...). Si tel était le cas, la diminution de la dépense publique aurait pour conséquence indirecte de soutenir la consommation et l’investissement privés.

Enfin, la réduction du niveau global des dépenses ne signifie pas que toutes les dépenses supporteront le même niveau d’effort. La période de retour à l’équilibre doit fondamentalement être l’occasion, comme nous le verrons, de réexaminer l’efficacité des dépenses et de sélectionner plus qu’aujourd’hui les catégories de dépenses prioritaires, qui devraient être préservées, voire même augmentées. C’est notamment le cas de toutes les dépenses de nature à renforcer notre capacité de croissance (cf. infra).

Les expériences étrangères (Canada, Suède, Finlande) ont démontré que la réduction des dépenses dans des niveaux nettement supérieurs à ceux qui sont proposés à la France peut au contraire s’accompagner d’une accélération de la croissance économique à court terme.

Ces expériences étrangères montrent également que l’objectif de retour à l’équilibre, s’il est jugé crédible par l’autorité chargée de la politique monétaire, peut s’accompagner d’une baisse des taux d’intérêt. Celle-ci atténue l’impact négatif sur l’ensemble de l’économie du retour à l’équilibre des finances publiques. En zone euro, ceci plaide pour que les États les plus endettés s’engagent simultanément dans une démarche de retour à l’équilibre.

b) Une fois revenu à l’équilibre, l’État doit enfin se donner les moyens de gérer les à-coups de la croissance

Il serait prématuré aujourd’hui de définir ce que devrait être la politique budgétaire une fois l’équilibre atteint, c’est-à-dire à partir de 2009-2010. En effet, une programmation véritablement pertinente ne pourrait être faite que dans quelques années, lorsque l’on connaîtra la position de l’économie française dans le cycle une fois que l’équilibre budgétaire aura été atteint.

Mais quelques principes simples peuvent être fixés. Comme nous l’avons vu, ces vingt-cinq dernières années, l’État a abordé chaque épisode de retournement conjoncturel avec un déficit important, ce qui l’a empêché d’exercer une action contra-cyclique significative. Une fois revenue à l’équilibre, la politique budgétaire de l’État devrait donc avoir pour objectif de disposer d’une capacité de réponse aux retournements conjoncturels (stabilisateurs automatiques).


Préconisation no 4

Une fois l’équilibre atteint, utiliser les finances publiques pour réguler le cycle économique. Lors du dernier retournement conjoncturel, des pays présentant des excédents budgétaires et des niveaux de croissance moyens supérieurs au nôtre ont absorbé une partie de la baisse de la croissance en laissant jouer les stabilisateurs automatiques dans des proportions très importantes (1,6 % du PIB pour la Suède et 1,7 % pour la Finlande).

Ces pays ont en outre pris des mesures discrétionnaires, soit d’augmentation des dépenses, soit de diminution des recettes, qui ont encore renforcé l’ampleur de l’action contra-cyclique. Au total, ces pays ont pu, grâce à aux excédents qu’ils avaient constitués en phase de croissance forte, soutenir la croissance de manière très importante (entre 5,5 et 7,2 % du PIB sur trois ans).

Quatre principes devraient donc guider la politique budgétaire de l’État une fois l’équilibre atteint :

Estimation des surplus

Un calcul très sommaire permet d’évaluer l’ampleur des surplus qui pourraient être consacrés à la constitution d’un excédent et aux dépenses les plus utiles à la croissance.

Si l’État, à périmètre constant, retournait à l’équilibre au bout de quatre ans, il dégagerait les années suivantes, en faisant l’hypothèse d’un gain de productivité de 1 % par an sur les dépenses (autrement dit, les dépenses évoluent comme l’inflation moins 1 point) et d’une croissance constante à 2 %, un excédent d’environ 0,65 % du PIB.

Utiliser cette marge de manoeuvre pour atténuer l’effet d’un ralentissement de la croissance, par des baisses d’impôts et/ou des augmentations de dépenses, sans enfreindre nos engagements européens. Il va de soi qu’une fois reconstituées les marges de manoeuvre budgétaires nécessaires à la régulation conjoncturelle, il appartiendra aux pouvoirs publics de fixer le niveau et la structure tant des prélèvements obligatoires que des dépenses publiques, dans le respect de l’équilibre des finances publiques. Il s’agit là en effet d’un ensemble de choix politiques et d’un choix de société.

2. Les collectivités territoriales doivent être mieux associées à l’objectif de maîtrise des finances publiques

La maîtrise durable des finances publiques locales passe nécessairement par une plus grande responsabilisation des collectivités territoriales, à la fois sur leurs recettes et sur leurs dépenses. C’est un objectif qui nécessite, dans les années qui viennent, d’apporter des modifications importantes aux relations entre l’État et les collectivités territoriales.

Dans l’intervalle, les collectivités territoriales doivent participer à l’effort de retour à l’équilibre des finances publiques, même si elles sont actuellement peu endettées.

a) Même si elles sont aujourd’hui peu endettées, les collectivités territoriales doivent assumer une partie de l’effort de retour à l’équilibre de l’État En dépit de la forte augmentation de leurs dépenses, l’endettement des collectivités est resté modéré ces dernières années. En effet, le rythme d’augmentation de leurs ressources leur permet de dégager une importante capacité d’autofinancement, qu’elles utilisent pour financer une large part de leurs investissements sans emprunter. En outre, elles ne peuvent s’endetter que pour investir.

Cela ne signifie pas que les collectivités territoriales ne doivent pas participer dans les cinq prochaines années à l’effort de retour à l’équilibre des finances publiques.

À court terme, en raison des contraintes juridiques et institutionnelles, il n’apparaît pas envisageable d’imposer directement une norme de déficit ou de dépense aux collectivités territoriales. En revanche, la progression des transferts de l’État aux collectivités territoriales doit être rapidement infléchie en leur imposant la même norme que pour les dépenses de l’État.

Les dotations de l’État aux collectivités territoriales diminueraient ainsi en euros constants. Comme pour l’État, cet effort serait différencié suivant le niveau de croissance.


Mis en ligne le 26/11/2006 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr)